La Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine conserve une riche collection de rapports départementaux rédigés par les inspecteurs des services de l’Assistance publique et plus spécialement relatifs au service des enfants assistés (0 à 21 ans) et à celui de la protection des enfants du premier âge (0 à 2 ans). Nous publions aujourd’hui une série de rapports dans le catalogue collectif Sudoc.
Les rapports des inspecteurs et la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine
À la suite de la Révolution française, l’aide sociale à l’enfance devient une prérogative des commissions administratives des hospices créées par la loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796), placées sous l’autorité du préfet dès 1799. La loi du 15 pluviôse an XIII (4 février 1805) entérine la nouvelle administration des enfants assistés, l’aide sociale à l’enfance devenant à cette date une compétence départementale. Enfin, par le décret du 19 janvier 1811, l’inspection départementale est créée, ainsi que trois nouvelles catégories d’enfants : les enfants trouvés, les enfants abandonnés et les orphelins pauvres [De Luca, 2002].
Sous la Troisième République, plusieurs lois importantes sont votées. La loi du 23 décembre 1874 dite loi Roussel [Loi Roussel, 1874] constitue une étape fondamentale de l’institutionnalisation de l’aide sociale à l’enfance. Elle entérine la création de la protection des enfants du premier âge pour la surveillance des enfants de 0 à 2 ans. Par la loi du 24 juillet 1889, une nouvelle catégorie est ajoutée au service des enfants assistés, celles des enfants moralement abandonnés. Citons enfin la loi du 27 juin 1904 visant à une réorganisation profonde du service des enfants assistés et à sa mise en place sous une forme identique dans tous les départements [Rollet-Echalier, 1990].
L’Académie de médecine joue un rôle important dans ce cheminement législatif et dans la mise en œuvre de l’aide sociale à l’enfance. D’abord, elle crée en son sein dès 1870 une Commission permanente de l’hygiène de l’enfance. Celle-ci attribue des médailles aux inspecteurs et décerne des prix [Léger, Van Wijland, 2021]. De nombreux inspecteurs départementaux sont ainsi récompensés à l’image de l’inspecteur du service des Enfants assistés du département des Alpes-Maritimes, Thomas Féraudi, qui reçoit 16 récompenses entre 1896 et 1916, ou bien celui du département du département de l’Eure, le docteur Savouré-Bonville qui en reçoit 7 entre 1889 et 1907. Dans le dernier quart du XIXe siècle, l’Académie se voit attribuer un rôle institutionnel plus officiel par la loi Roussel, qui affecte un de ses membres au comité supérieur créé à cette occasion.
Le règlement d’administration publique du 27 février 1877 rend obligatoire le rapport annuel de l’inspecteur départemental :
« Art. 16. L’inspecteur du service des enfants assistés est chargé, sous l’autorité du préfet, de centraliser tous les documents relatifs à la surveillance instituée par la loi.
Chaque année, il présente un rapport sur l’exécution du service dans le département, et il rend compte du résultat de ses tournées. »
Cet article, que les rapports des inspecteurs citent fréquemment, ainsi que les dispositions de la loi Roussel, expliquent pour l’essentiel la présence de ces rapports au sein des collections de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine. La Commission de l’hygiène de l’enfance est en effet un destinataire privilégié des rapports des inspecteurs départementaux. Le premier conservé par la Bibliothèque émane en 1872 de l’inspecteur du département de l’Eure.
Pages de titre des rapports de l’inspection départementale de l’Isère entre 1897 et 1900, cote 91530. Académie nationale de médecine. Il est intéressant de noter les évolutions de cette publication. Elle paraît en deux fascicules distincts pour l’année 1900, date à laquelle le département semble doté de deux inspecteurs.
Grâce à un financement accordé dans le cadre du programme CollEx (Collections d’Excellence), un nouveau chantier de signalement de ces rapports dans le catalogue collectif Sudoc a été engagé cette année 2023. Cette documentation vient s’ajouter aux archives de la Commission de l’hygiène de l’enfance, où l’on peut trouver sous forme dactylographiée un grand nombre de rapports postérieurs à la Seconde Guerre mondiale.
Comment retrouver les rapports ?
La nature même de ces objets rend leur identification au sein des catalogues parfois compliquée. Ce sont des rapports d’activité rédigés annuellement, conservés par les départements, et notamment envoyés à l’Académie de médecine. Ils ont vocation à dresser un bilan des actions menées par le ou les services inspectés tout en proposant un budget et des axes de travail pour l’année suivante. En un sens donc, ils constituent des archives de ces services, dont le format précis dépend de choix faits localement, même si le type d’information qu’on y trouve reste très proche d’un rapport à l’autre.
La réunion de plusieurs services dans un même rapport dépend de l’organisation même des services de l’Assistance publique dans chaque département. Dans le département de l’Eure par exemple, le rapport publié en 1906 porte sur le service des enfants assistés, la protection des enfants du premier âge, l’assistance médicale gratuite, l’assistance obligatoire aux vieillards, infirmes et incurables privés de ressources, et les crèches tandis que dans le département de la Loire pour la même année, le rapport concerne plus spécifiquement les services des enfants assistés et moralement abandonnés ainsi que la protection des enfants du premier âge. Dans le département de l’Eure toujours, le choix est fait de rendre compte non pas seulement de l’aide sociale à l’enfance, mais plutôt de l’aide sociale dans son ensemble, sous la dénomination générique d’Assistance publique. Ailleurs encore, notamment dans le département des Basses-Alpes en 1896, on utilise l’expression d’« Assistance infantile » afin de clairement délimiter les services de l’Assistance publique dont le rapport traite. Le département de l’Isère use, quant à lui, de titres très longs et détaillés, rendant compte de la diversité des services abordés dans le rapport : « Enfants assistés, moralement abandonnés. Asile de la maternité. Protection du premier âge et institution des Sourdes-Muettes de Vizille » en 1891.
Ainsi les titres, l’organisation et les contenus précis des rapports varient, reflétant l’organisation des services, mais aussi les orientations de chaque inspecteur : ils changent moins quand l’inspecteur reste longuement en poste : ainsi, dans le département des Alpes-Maritimes, l’inspecteur, M. Ferraudi, est l’auteur des rapports couvrant les années 1894 à 1914. La publication et l’envoi de ses rapports sont réguliers, leur organisation varie peu. À l’inverse, dans le département de l’Isère, de nombreux changements d’inspecteurs entraînent des modifications dans les rapports.
Les multiples variantes de titre sont une difficulté pour la description de ces ensembles et la recherche documentaire. Pour en faciliter le repérage, nous avons pris le parti, à la Bibliothèque de l’Académie de médecine, de signaler ces publications sous un titre indiquant tout à la fois les services concernés et le département. Dans la mesure du possible, lorsque le contenu du rapport ne changeait pas de manière significative, nous avons créé une notice unique, avec des variantes de titre pour refléter les évolutions des services, afin de permettre une recherche plus aisée. La notice ci-dessous, relative au département de l’Isère, en est une illustration.
Dans le département d’Indre-et-Loire, un rapport relatif à la seule protection du premier âge est au début du XXe siècle absorbé dans un rapport qui l’inclut dans un rapport plus général consacré à l’Assistance publique. Les deux notices ci-dessous illustrent ce cas de figure.
Une indexation systématique et uniforme permet également d’effectuer des recherches par mots-clés. Celle-ci est construite sur les termes « Enfants – Protection, assistance, etc. » auxquels on ajoute l’indication du département, de la période concernée, en indiquant comme type de document « Rapports d’activité ». Appliquée à chaque notice, cette méthode d’indexation permettra d’identifier facilement les rapports relatifs à l’hygiène de l’enfance dans un département donné.
Ce travail de signalement fait apparaître l’impact des évolutions législatives sur le contenu des rapports. Le corpus déjà traité suggère ainsi que la distinction entre chaque service sur la page de titre tend à disparaître au passage du XXe siècle pour une mention générale des services de l’Assistance publique.
Aujourd’hui, ce sont les notices de 17 départements qui ont été revues, enrichies et publiées dans le catalogue en ligne. Les autres rapports présents à la Bibliothèque ne possèdent pas encore de notices en ligne mais sont consultables sur place au même titre que ceux signalés dans le catalogue. La collection de l’Académie est remarquable par le nombre de départements réunis ainsi que par la couverture chronologique couverte par les publications, des années 1870 aux années 1930.
Tous départements confondus, la période pour laquelle les rapports sont les plus nombreux correspond aux années 1890 à 1910. La bonne réception des rapports dépend exclusivement du zèle des préfets et des inspecteurs à envoyer les rapports à l’Académie. Parfois, et c’est ce qui explique très certainement les lacunes que nous observons, les rapports n’ont pas été envoyés, malgré les réclamations de l’Académie.
Le contenu des rapports
Ces rapports sont de véritables outils statistiques et législatifs, tout autant que des témoins de l’évolution des théories d’élevage et d’éducation des enfants. Ils constituent une source sur l’histoire des services d’aide sociale à l’enfance. En mentionnant parfois les lois, décrets et règlements qui s’appliquent à leurs missions, ils permettent également de suivre année après année l’évolution du cadre législatif dans lequel évoluent les inspecteurs.
Les rapports distinguent la protection du premier âge et les enfants assistés. Concernant la protection du premier âge, la surveillance des enfants se fait par des visites effectuées par des médecins-inspecteurs responsables d’une circonscription. Ces derniers transmettent ensuite leur rapport à l’inspecteur départemental qui l’insère dans son rapport global. Voici un exemple d’observation effectuée par le docteur Moreau, responsable de la première circonscription de Châtillon-sur-Sèvres :
« Observations : l’état sanitaire de la circonscription a été bon. Quelques entérites bénignes ; pas de décès. L’application de la loi du 23 décembre 1874, bien faite dans la circonscription donne les meilleurs résultats. En général, les nourrices tiennent le plus grand compte des conseils qui leurs sont donnés dans l’intérêt de l’hygiène et de la santé de leurs nourrissons. C’est ainsi que le biberon à tube n’est plus employé par elles, bien qu’il soit encore trop répandu dans leur entourage. » (Deux-Sèvres, 1895)
Les rapports présentent de nombreuses statistiques sur les mouvements de la population cible, les enfants surveillés de 0 à 2 ans. Sont mentionnées les causes de sortie du service : limite d’âge, changement de catégorie, retrait ou décès. Sont également précisés le sexe, le mode d’élevage, – au sein, au biberon ou en sevrage, parfois en allaitement mixte -, l’âge et la filiation des enfants, – naturelle ou légitime. Les inspecteurs précisent toujours la proportion de décès entre les deux principaux modes d’élevage, au sein ou au biberon, en fonction du sexe, de l’âge et de la filiation. Les différentes causes de décès identifiées par les inspecteurs y sont régulièrement mentionnées : affections des voies respiratoires, cardiaques, intestinales ou cérébrales, faiblesses congénitales et causes inconnues.
Sur les services des enfants assistés ensuite, on retrouve des rubriques similaires, notamment le mouvement sur l’année de la population cible avec mention des causes de sortie : décès à la campagne, à l’hospice, remise aux parents, à des bienfaiteurs, limite du secours, mariage de la mère, ou émancipation. À la différence de la protection du premier âge, les enfants assistés ne font pas seulement l’objet d’une surveillance, ils sont placés complètement sous l’autorité du service. Il n’y a donc pas de découpage par circonscription. Ce service concerne une catégorie d’enfants de 0 à 13 ans et une autre de 13 à 21 ans. D’autres statistiques apparaissent dans le rapport, notamment la comparaison entre la fréquentation possible et effective de l’école, croisée avec le sexe des enfants ainsi que les différents types de placement dans des maisons de réforme, en apprentissage, à l’école primaire ou bien encore en hospice.
Le rapport dresse un état général du fonctionnement du service, parfois l’inspecteur évoque le travail des nourrices, propose un budget pour l’année suivante. L’envoi à l’Académie peut s’accompagner de lettres explicitant davantage les réalités de leur charge. Elles rendent compte des préoccupations propres à un département et à une année donnée :
« Malgré cela la statistique accuse une augmentation du chiffre de la mortalité. Vous trouverez à ce sujet d’importantes explications aux pages 49 et suivantes de mon rapport. La principale cause de décès dans le département de l’Ardèche est due à l’état de débilité dans lequel nous arrivent les enfants assistés du Rhône et des Bouches-du-Rhône. La surveillance médicale est impuissante à combattre efficacement les tares héréditaires dont sont atteints un grand nombre de ces enfants et auxquelles beaucoup succombent dans les premiers jours du placement, avant même que le médecin ait pu les voir. » (Rouveyre, 1899, BANM, cote 91497)
L’information contenue dans ces rapports, loin d’être seulement statistique, offre la possibilité de saisir certaines des préoccupations les plus importantes au tournant du siècle. L’allaitement artificiel, par exemple, lié à la question plus générale de la mortalité infantile, suscite dès les années 1890 inquiétudes et réflexions de la part des inspecteurs comme des institutions en charge de l’enfance. Ainsi en 1891, la question posée pour le prix de l’hygiène de l’enfance par l’Académie de médecine porte-t-elle sur le lait utilisé pour l’allaitement artificiel.
Ce sont également les biberons qui font l’objet de la surveillance des institutions et des inspecteurs. Citons ici pour exemple un article du médecin et académicien Georges Dujardin-Beaumetz (1833-1895), publié en 1895 dans Le Parfait nourricier. Journal mensuel des accoucheurs et des accoucheuses, sous le titre « Mauvais et bons biberons » :
« C’est aux mauvais biberons, il faut bien qu’on le sache, qu’est due, pour la grosse part, l’énorme mortalité de l’enfance qui désole tous les pays civilisés. Et chez nous, cette mortalité est doublement désolante, car les vides causés par les milliers d’innocentes victimes que nous laissons sottement empoisonner par des biberons meurtriers, ne se comblent pas comme dans les pays voisins. C’est ainsi que la France voit le chiffre de sa population demeurer stationnaire et même décroître, alors que toutes les nations qui nous entourent sont en voie d’accroissement plus ou moins rapide ».
Quelques années plus tard, en 1899, la problématique des biberons se retrouve aussi dans plusieurs rapports départementaux publiés en 1899, qui déplorent le manque d’hygiène des outils employés dans l’allaitement artificiel. Dans le département des Deux-Sèvres, il est ainsi rapporté que « la plupart des médecins consultés [s’élèvent] surtout contre le biberon à tube » (Deux-Sèvres , 1899) ; dans le département de l’Ardèche on parle d’« instrument meurtrier » pour désigner des biberons « dont l’emploi quelque élémentaire qu’il paraisse, exige de la part de la nourrice des précautions de propreté qui font le plus souvent défaut » et « l’usage de cet instrument funeste qui, au lieu d’un lait vivifiant et sain verse goutte à goutte dans ces petits corps délicats et frêles un véritable poison » (Ardèche, 1899). L’inspecteur du département de la Seine-Inférieure note quant à lui qu’il « faut des épidémies meurtrières comme celle qui a sévi cette année [1898] chez les jeunes enfants pour bien faire comprendre aux nourrices tout l’avantage qu’elles ont à élever des enfants au biberon sans tube » (Seine-Inférieure, 1899). Des récompenses sont mêmes accordées aux nourrices des Deux-Sèvres qui n’emploient pas ce type de biberon (Deux-Sèvres, 1899). Dans ce département, des biberons sans tube « Parfait nourricier » étaient fournis dès 1894 aux nourrices par l’administration (Deux-Sèvres, 1895).
La lutte contre la mortalité infantile, et en particulier cette guerre menée contre le biberon à tube révèle des préoccupations démographiques auxquelles font écho les inspecteurs départementaux. Ainsi Robert Marois (1860-1927), alors affecté dans le Gers, écrit dans son rapport sur l’année 1900 :
« Établissons un parallèle entre notre pays et les peuples voisins. Que constate-t-on ? Que notre population est peu à peu stationnaire, alors que celle des puissances environnantes s’accroît dans des proportions considérables. Ces faits sont de nature à inquiéter tous les Français, qui pensent à bon droit que ce qui fait la puissance d’un peuple, c’est le nombre de ses citoyens.
Quelques chiffres prouvent d’une façon irréfutable la légitimité de ces alarmes, que ne peuvent dissiper les résultats du dernier recensement. L’Allemagne dont la population aujourd’hui, est de 54,314,042 habitants (…). Cette progression encore trop peu sensible de notre population n’est pas due seulement à notre faible natalité, elle est encore due à notre grande mortalité. » (Gers, 1900)
Le biberon à tube est finalement interdit en 1911 comme le rappelle Virginie De Luca Barusse, dans un article montrant précisément le rôle joué par les inspecteurs dans la lutte contre la mortalité infantile au début du XXe siècle en France [De Luca Barusse, 1999].
Anouk Eguisier
Bibliographie
[Léger, Van Wijland, 2021] François Léger et Jérôme van Wijland, « Un « Centre de direction, d’action et d’informations » : la commission de l’hygiène de l’enfance de l’Académie de médecine (1866-1999) », dans Emmanuelle Berthiaud, François Léger et Jérôme van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir : la médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021 (Histoire et civilisations), p. 179-206.
[De Luca Barusse, 1999] Virginie De Luca Barusse, « Les inspecteurs de l’Assistance publique contre la mortalité juvéno-infantile : les causes et les moyens de leur engagement (1880-1914) », Annales de démographie historique, 2, 1999, p. 137-170.
[De Luca, 2002] Virginie De Luca, Aux origines de l’État providence : les inspecteurs de l’Assistance publique et l’aide sociale à l’enfance (1820-1930), Paris, Institut national d’études démographiques, 2002 (Études et enquêtes historiques).
[Rollet-Echalier, 1990] Catherine Rollet-Echalier, La Politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, Paris, Presses universitaire de France, 1990.
[Loi Roussel, 1874] Loi relative à la protection des enfants du premier âge, et en particulier des nourrissons, 23 décembre 1874 [en ligne], Journal officiel de la République française, 7e année, n° 7, 8 janvier 1875, Paris, p. 146.
Pour citer ce billet :
Anouk Eguisier, « Les rapports des inspecteurs départementaux des enfants assistés », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 20 octobre 2023. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/rapports-inspecteurs.