Les Mémoires constituent un sous-ensemble des archives organiques de l’Académie de médecine, allant des années 1820 aux années 1930 approximativement. Ils consistent en notes, articles, mémoires que des médecins, scientifiques ou particuliers soumettent à l’appréciation de l’Académie dans l’espoir d’en donner lecture en séance ou d’en voir reconnaître la pertinence scientifique. Les documents y sont classés par année, puis – à peu près – par ordre alphabétique.
Avec la publication dans le catalogue Calames des mémoires des années 1860-1869, ce sont 1467 nouveaux composants que la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine donne à découvrir aux usagers (inclus ceux de l’année 1861 publiés en février 2019). Les mémoires classés sous l’année 1866 n’ont pas été retrouvés à ce jour. A eux tous, ils représentent 464 dossiers distincts, parfois constitués d’une seule pièce (124), parfois plus étoffés (340 comportent au moins deux pièces).
La chimie, la biologie et la pharmacologie y sont très représentées. Les mémoires s’attachent aux simples d’origine végétale (veratrum viride ou vérâtre vert, manne en larmes ou manne du frêne, digitale), aux champignons, moins souvent aux animaux, notamment aux sangsues (hirudiniculture et bdellatomie). Ils portent, plus souvent encore, sur l’étude de composés chimiques (bichlorure de soufre et perchlorure d’iode, permanganate de potasse, arséniate d’antimoine, hydrochlorate d’ammoniaque, acétate de plomb, sesquioxyde de fer et chloroxyde ferrique, acide thymique) parfois connus sous la forme de produits commercialisés (essence de térébenthine, chloroforme, éther sulfurique). Enfin, sont également étudiés les médicaments (café-goudron, pilules à la pepsine) ou les effets de produits à boire, manger ou inhaler (yaguëllo – boisson polonaise au miel -, marc de café, liqueur d’absinthe, tabac, fumée d’opium).
Les propositions liées à l’innovation technique, qu’elles relèvent de la création ou de l’amélioration de systèmes existants, sont nombreuses. Elles ont été étudiées par Catherine Herr-Laporte (Encourager le progrès et l’innovation techniques dans le domaine médical : l’exemple des instruments et des appareils médicaux présentés à l’Académie de médecine (1836-1914) / sous la direction de Madame Liliane Hilaire-Pérez et de Madame Christelle Rabier, Mémoire de Master 2, Paris Diderot Paris 7, 2016), qui dénombre 964 objets présentés à l’Académie de médecine entre 1836 et 1914, précisant que la pratique atteint son apogée dans les années 1850, se stabilise ensuite, avant de décroître à partir de 1885. Une simple énumération donnera un aperçu de leur diversité : bouilloire-cerceau, anus artificiel, appareil à l’aide duquel on peut remplacer les bains pris dans une baignoire par un bain de pluie, appareil destiné à éclairer le conduit auditif et l’intérieur de la bouche, bandages et appareils contentifs, bandage herniaire, spéculum, fauteuil gymnastique, forceps de précision et à pression limitée, appareil destiné à la réduction des fractures du membre inférieur, appareil inamovible et suspendu, pour les fractures de jambes, thoracoscope, instrument élytroïde ayant pour but de faciliter le traitement des maladies utérines, sonde urétrale faite avec la sève de Balata, gilet dit hygiénique, plessimètre, appareil destiné à provoquer l’accouchement prématuré artificiel, ophtalmoscope, cafetière aspiratoire (appareil fumigatoire), appareil prothétique, spéculum laryngien, appareil à pulvériser l’eau, appareil pour la réduction d’une fracture double du maxillaire inférieur, irrigateur vaginal, instrument destiné à l’extraction des dents désigné sous le nom d’attractif d’Estanque, brosse Volta-électrique, appareil mécanique destiné à faciliter les opérations chirurgicales, optomètre destiné à faire reconnaître et à mesurer les vices de réfraction de l’œil, système de palais artificiels, dilatateur à deux branches pour l’opération de la trachéotomie, microscope dioptrique…
Les mémoires touchent à différentes spécialités médico-chirurgicales. L’obstétrique et l’ophtalmologie semblent ainsi bien représentées, de même que la chirurgie destinée à la cure des calculs biliaires, hernies, polypes naso-pharyngiens, fissures anales.
Parmi les maladies, la syphilis – qui peut revêtir un caractère épidémique, comme dans l’affaire des verreries de Montluçon – ainsi que les maladies pulmonaires (phtisie, pneumonie, pleurocèle), font l’objet de plusieurs mémoires, mais on en trouve également sur le goître, la lèpre, le tétanos, la goutte, le diabète, l’ergot de seigle et, paradoxalement, un seul sur la variole (Bons effets de l’emploi local de l’alcool camphré dans le traitement de la variole).
Les maladies épidémiques suscitent un intérêt toujours vif : choléra, diphtérie, fièvre typhoïde, fièvre puerpérale, fièvre paludéenne, fièvre jaune, rage, etc. Ces questions sont parfois traitées sous l’angle de la monographie urbaine ou régionale, ainsi de la mortalité par affection diphtéritique (angine et croup) dans la ville de Bordeaux, de la fièvre typhoïde dans les hôpitaux de Marseille, d’une épidémie de fièvre récurrente régnant à Saint-Pétersbourg, ou encore des maladies épizootiques et enzootiques observées en Algérie.
De manière plus générale, l’engouement pour la statistique et la démographie médicales ou les études comparées est de plus en plus prégnant. Les statistiques démographiques concernent la natalité (De la constatation des naissances), la mortalité (Mortalité de la ville de Paris comparée avec celle de la province ; Statistique mortuaire pour le canton d’Autrey, Haute-Saône ; Influence du climat de Langres sur les décès et leurs principales causes), voire les deux (Études médico-légales, statistiques & administratives, sur les fœtus morts & les enfants nouveaux-nés), mais aussi les mariages consanguins (Étude sur les mariages entre consanguins dans la commune de Batz près le Croisic, Loire Inférieure) ou encore la question du recrutement militaire (Études statistiques sur le recrutement dans le département de la Moselle).
D’autres mémoires sont consacrés aux questions d’hygiène et de salubrité (Comparaison des hôpitaux anglais avec les hôpitaux français ; Note sur l’hygiène des hôpitaux et spécialement sur un procédé de désinfection économique et d’une application facile ; Note sur un moyen d’approvisionner Paris d’une eau potable, salubre et abondante).
Dans le même ordre d’idée, la question des eaux minérales et thermales demeure très représentée : Sur les eaux de la Creuse et de la Haute-Vienne ; Examen critique de la préparation qu’on fait subir aux eaux minérales dans le but d’en concentrer les éléments de minéralisation ; Statistique comparative de la fréquence du goître suivant la provenance des eaux potables, dans la commune de Plancher-les-Mines ; Projet d’établissement d’une source d’eau minérale ferrugineuse dans Paris ; Recherches hydrologiques sur l’arrondissement de Château-Gontier (Mayenne) ; Recherches sur les eaux de l’Arrondissement d’Abbeville au point de vue de l’hygiène, etc.
La question médicale et hygiénique dans les collectivités suscite des mémoires sur les prisons (De l’emprisonnement cellulaire ; Études sur l’état sanitaire de la Maison Centrale d’Auberive) ou sur les crèches (Ensemble de documents relatifs à l’hygiène des nourrissons à la crèche ; Documents sur les crèches et les nourrices).
L’hygiène en milieu industriel demeure aussi une préoccupation des médecins : Note extraite d’un mémoire sur les maladies des ouvriers chromateux (1864 n° 23) ; Sur la fabrication et l’emploi des couleurs d’aniline (rouge et bleu de fuchsine) envisagés au point de vue de l’hygiène industrielle, de la police médicale et de la médecine légale (1865 n° 3) ; Note extraite d’un mémoire sur l’intoxication saturnine des ouvriers qui travaillent à la fabrication du verre mousseline et sur l’hygiène de cette industrie (1865 n° 14) ; Note sur les étamages et sur la poterie d’étain (1865 n° 16) ; Epidémie syphylitique des Verreries de Montluçon (1869 n° 8) ; Note sur un nouveau moyen de préparer, sans mercure, les poils de lièvre et de lapin destinés à la fabrication des chapeaux de feutre, extraite d’un mémoire sur l’intoxication mercurielle professionnelle (1869 n° 27).
Le Mexique, laboratoire des médecins français
Si l’étranger est parfois au centre des investigations : San Remo (Italie), Constantinople (Empire ottoman), Montréal (Bas-Canada), Londres (Royaume-Uni) et Chine, la France métropolitaine ou ses territoires coloniaux (Algérie, Cochinchine) captent majoritairement l’attention. Un pays, laboratoire de l’impérialisme de Napoléon III, ne suscite pas moins de 4 mémoires : c’est le Mexique : Statistique respiratoire comparée au Mexique (1863 n° 11) ; Demande de mission au Mexique (1863 n° 47) ; Observations ozonométriques, à bord de la frégate la Bellone pendant sa traversée de France au Mexique (1864 n° 26) ; Étude succincte physique, physiologique et thérapeutique des eaux minérales de Coamo île de Puerto Rico pour servir à l’analyse chimique de ces eaux par la commission scientifique du Mexique (1867 n° 11).
Guérir la coqueluche par le gaz d’éclairage
En 1864, cinq médecins, Eudore Baldou (1864 n° 2), Louis François Emmanuel Becquet (1864 n° 4), Joseph Bertholle (1864 n° 5), Oscar Commenge (1864 n° 12) et Nathan Oulmont (1864 n° 32), font parvenir à l’Académie de médecine des mémoires prônant le traitement de la coqueluche au moyen d’inhalations des résidus ou substances volatiles émanant du gaz d’éclairage.
Henri Roger, Gaston Blache et Auguste Delpech sont nommés commissaires pour examiner ces différents travaux, mais il faut attendre 1880, pour que Henri Roger en fasse le rapport (Henri Roger, « Du traitement de la coqueluche dans usines à gaz », Bulletin de l’Académie de médecine, 44e année, 2e série, Tome IX, séance du 19 octobre 1880, p. 1060-1074) :
Aujourd’hui seul membre survivant d’une Commission ancienne, où j’avais pour collaborateurs deux membres éminents et bien regrettés de notre compagnie, Blache et Delpech, et rapporteur obligé de cette Commission, je viens payer une vieille dette qui m’a été laissée comme en héritage.
Les travaux adressés à l’Académie, et que je vais analyser, étaient tous relatifs au traitement de la coqueluche par l’inhalation des substances volatiles dégagées des cuves d’épuration du gaz de l’éclairage : c’étaient deux notes de MM. les docteurs Baldou et Becquet, une lettre de M. Oulmont (devenu depuis notre collègue), et enfin deux importants mémoires de M. Commenge et de M. Bertholle, basés sur de nombreuses observations recueillies aux usines de Saint-Mandé et des Ternes.
Les auteurs de ces travaux n’étaient point d’accord sur la valeur de la médication gazeuse, les uns la dépréciant, et les autres l’exaltant outre mesure ; au lieu de faire une analyse séparée et nécessairement fastidieuse de ces divers documents, je vais les examiner d’ensemble, les contrôler par mes propres observations, et j’essayerai d’en tirer des conclusions pratiques pour la thérapie si difficile de la coqueluche. (p. 1060-1061)
Et Roger de retracer l’histoire de cette méthode de traitement, avant de l’analyser d’un point de vue scientifique et de conclure (p. 1074) :
De ce que l’inhalation des substances épuratrices du gaz d’éclairage ne constitue ni un spécifique de la coqueluche, même simplement une médication meilleure que les remèdes classiques adoptés par la généralité des praticiens (vomitifs, belladone, antispasmodiques remèdes qui sont eux-mêmes trop souvent impuissants), de ce que la valeur thérapeutique de ces émanations, même à en juger d’après les observations des preneurs consciencieux, nous semble bornée et en définitive médiocre (le traitement à l’usine est aujourd’hui presque abandonné), il n’en résulte point que des éloges ne soient pas dus aux auteurs des travaux que nous venons de rapporter, et en particulier à MM. les docteurs Commenge et Bertholle, qui ont longuement expérimenté sur place, avec zèle et intelligence, et qui ont fait, avec bonne foi et talent, œuvre de praticiens.
La vedette « Gaz d’éclairage » du Dictionnaire de Dujardin-Beaumetz, paru en 1885 (« Gaz d’éclairage », dans Dujardin-Beaumetz, Dictionnaire de thérapeutique, de matière médicale, de pharmacologie, de toxicologie et des eaux minérales, Tome II : Chlorures-Gurjun, Paris, Octave Doin, 1885, p. 755-759), comporte une sous-vedette « Usages thérapeutiques du gaz d’éclairage », p. 758-759, qui dresse un bilan comparable et alerte sur la nocivité du procédé.
Néanmoins, au mitan du XXe siècle, la pratique subsiste, comme en attestent les souvenirs du maréchal-ferrant Marcel Coquigny, d’Aumale (cités par Colin Dyer, « Le gaz arrive à Aumale ! », Études normandes, 32e année, n° 1, 1983, p. 61) :
Je me souviens de l’allumeur de bec à gaz, M. Lafarge, mort en juin 1940 lors du bombardement d’Aumale, qui, avec sa longue perche surmontée d’une lampe à huile protégée contre le vent d’une armature métallique, tous les jours au soir, dimanche compris, assurait son service à l’heure précise ; (…) Une vieille coutume concernait les enfants atteints de la coqueluche. Ils étaient acceptés au bord de la fosse à l’usine à gaz pour respirer l’air goudronné, qui les soulageait. Cela coûtait moins cher que chez le médecin, car les assurances sociales n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui.
ou encore le commentaire d’une internaute (pseudonyme : mamdolores c’est MOI) en réaction à un article sur l’usine à gaz de Figeac (Michel Cavarroc, « La naissance de l’usine à gaz », La Dépêche, 19 avril 2015) :
Oui les anciens Figeacois ont bien connu « l’usine à gaz ».
Lorsque nous avions la coqueluche, (en 1950), notre médecin recommandait à nos grands-mères d’aller nous y promener, et d’y respirer… pour « Changer d’air »…! (…)
Jérôme van Wijland
Pour citer ce billet :
Jérôme van Wijland, « Mémoires – IV. Les années 1860 », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 29 septembre 2023. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/memoires-186x.