Le volume coté Ms 122 (1053) contient des lettres écrites par le docteur Jules Cloquet. C’est ce volume que nous vous invitons à découvrir dans ce billet, à l’occasion de la publication conjointe de l’inventaire détaillé de ce volume dans Calames, et de sa reproduction dans la bibliothèque numérique de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, sur le site Archive.org.
La première est une lettre adressée au professeur Pierre-Éloi Fouquier de Maissemy (1776-1850), lui recommandant Achille Flaubert (1839 ; Ms 122 (1053) n° 1), et qui souligne les liens étroits unissant les Cloquet aux Flaubert [LECLERC 2020] :
Mon cher confrère, Permettez-moi de recommander à tout votre intérêt, mon jeune ami Flaubert, fils du chirurgien en chef de l’hôtel-Dieu de Rouen. Ce bon jeune homme a fait d’excellentes études et je l’ai eu pendant plusieurs années dans mon service. Il est instruit, mais fort timide, et passe demain sous vous son 5ème examen. J’espère qu’il vous satisfera, et je ne vous le recommande que parce qu’il a besoin d’être un peu encouragé. Tout à vous de cœur.
La fin du volume rassemble différentes « Pensées » de Jules Cloquet, notes remises au baron Hippolyte Larrey à la mort de son ami (Ms 122 (1053) n° 31), données à l’Académie de médecine par Juliette Dodu à la mort de son « parrain » Hippolyte Larrey.
Mais l’essentiel du recueil consiste en un ensemble de 29 lettres adressées par l’anatomiste à son ami le docteur Charles Devilliers fils (Ms 122 (1053) n° 2-30).
Jules Germain Cloquet (1790-1883) est fils de dessinateur. Élève d’Achille Cléophas Flaubert à Rouen (1807), successivement interne (1811), docteur (1817) et agrégé de chirurgie (1824), il est nommé en 1831 professeur de pathologie externe (deuxième chaire), en 1834 professeur de clinique chirurgicale (deuxième chaire) et en 1851 professeur de pathologie externe (première chaire). Chirurgien et anatomiste de premier plan, il est membre de l’Académie de médecine dès 1821 et de l’Académie des sciences à partir de 1855. Son frère aîné Hippolyte (1787-1840) et son neveu Ernest (1818-1854) sont également membres de l’Académie de médecine. Auteur de nombreux travaux de physiologie, de chirurgie et d’anatomie pathologique, inventeur d’instruments chirurgicaux, préparateur de cires anatomiques et de pièces pathologiques, Jules Cloquet reste notamment l’auteur du premier atlas anatomique illustré au moyen de la lithographie, en 5 volumes, en collaboration avec Charles de Lasteyrie et Godefroy Engelmann, paru à partir de 1821 [HUGUET 1991].
Issu d’une lignée médicale [LÉGER 2020], Charles de Villiers (1812-1893) est le fils du docteur Gaspard-Pierre-Alexandre de Villiers (1781-1853), membre de l’Académie de médecine dans la section d’accouchements à compter de 1823. Il se spécialise lui aussi dans l’obstétrique, ainsi que dans l’hygiène de l’enfance [LÉGER & VAN WIJLAND 2021]. Comme le rappelle cette correspondance, il occupe la position de médecin en chef de la compagnie de chemins de fer de Paris-Lyon-Marseille (un buste de marbre signé Hippolyte Ferrat et conservé à l’Académie de médecine en témoigne également, inv. ART 46).
La carrière d’un protégé
De manière attendue, la correspondance comporte des éléments relatifs à leur profession commune, ainsi qu’à la carrière de Devilliers, ami mais aussi protégé de Cloquet.
Jules Cloquet lui adresse parfois un malade (1862 ; Ms 122 (1053) n° 18), ou lui donne son avis, recommandant ainsi à une patiente d’aller prendre les eaux (1862 ; Ms 122 (1053) n° 19). Il sollicite également le concours de son ami, lui demandant par exemple de l’aide pour l’application d’un appareil de fracture de l’avant-bras à une dame qui s’est procuré les attelles chez Charrière (1846 ; Ms 122 (1053) n° 6), le priant de venir écouter la lecture d’un nouveau mémoire (1855 ; Ms 122 (1053) n° 12) ou encore lui demandant de remplacer un aide, en venant lui « crayonner quelques traits au fusain sur [son] tableau de démonstration. » (1855 ; Ms 122 (1053) n° 11)
Attentif à la carrière de son cadet, Cloquet lui annonce sa nomination à l’unanimité comme aide de clinique d’accouchement (1845 ; Ms 122 (1053) n° 4). En 1860, Cloquet, alors président de l’Académie impériale de médecine, ne manque pas de l’avertir qu’ « on va très prochainement déclarer vacante une place dans la section d’accouchement, préparez vos armes et venez nous faire quelques bonnes lectures » (1860 ; Ms 122 (1053) n° 17). La lettre, datée du 21 août 1860, est suivie d’effet puisque lors de la séance du 18 septembre 1860, « M. le docteur Devilliers informe l’Académie qu’il se porte candidat à place vacante dans la section d’accouchement ». Lors de la séance du 4 décembre 1860, Jacquemier est élu par 44 voix contre 17 à Devilliers, et une voix chacune à Laborie, Blot, Hatin, Pajot, ainsi qu’un vote blanc. Il faut attendre la séance du 2 décembre 1862 pour que, au deuxième tour de scrutin, Devilliers soit élu par 43 voix contre 24 à Blot, une à Laborie, et un vote blanc.
Quelques années plus tard, Cloquet l’entretient de la place de médecin sanitaire que Devilliers s’apprête à briguer, l’assurant de son soutien (1877 ; Ms 122 (1053) n° 27) :
D’après ce que vous me dites des avantages attachés aux places de médecin sanitaire, connaissant votre aptitude sous tous les rapports pour en remplir honorablement les fonctions je suis tout à fait d’avis que vous vous portiez au nombre des candidats. Je crois que la position qui sera faite aux médecins sanitaires deviendra un acheminement à une position meilleure encore et sous ce rapport, il faudra mettre tout en œuvre d’abord pour vous faire porter sur la liste des candidats et ensuite pour être choisi par le ministre : je vous promets d’employer tous mes amis pour tâcher de réussir.
Amitié, santé et réseaux de sociabilité
Les lettres du valétudinaire Jules Cloquet comportent de nombreuses phrases faisant état de sa santé ou de celle de sa « chère femme, dont la santé a également été un peu éprouvée par les vicissitudes climatériques que nous avons eues à l’équinoxe » (1877 ; Ms 122 (1053) n° 27), ou s’enquérant de celle de Devilliers et des siens – son épouse et sa fille. L’air pur, le repos et la cure thermale constituent les thérapeutiques principales :
Il y a beaucoup de monde à Vichy, mais peu de monde de Paris, la grande majorité se compose d’étrangers et de provinciaux mais la grande majorité me paraît composée de gens plus riches que bien élevés, et il y a comme partout beaucoup d’originaux. Il y a bien des études à faire aux tables de jeu du casino, où nous allons de temps à autre pour entendre de la musique ou assister aux représentations d’acteurs et de chanteurs qui arrivent de Paris. (1868 ; Ms 122 (1053) n° 21)
Vous ne tarderez pas mon cher Devilliers, à vous sentir restauré, mais comme l’autorité renaît avec la santé, n’allez pas avoir la faiblesse de vouloir dépendre votre collier de misère avant que vous ne soyez triplement encuirassé contre une récidive de votre affection, de votre courbature cérébrale. Jouissez des charmants paysages qui vous entourent, respirez l’air pur des montagnes, causez avec le bon docteur Lambert et les sujets d’entretien ne manquent jamais entre médecins, laissez-vous conduire par lui pour l’usage des eaux qu’il dirige et ne nous revenez que fort et bien portant, je ne dirai pas gros et gras, ce qui n’est pas dans votre nature. (1855 ; Ms 122 (1053) n° 13)
Cloquet n’hésite pas par ailleurs à signer une procuration en faveur du docteur Devilliers fils, pour la gestion des affaires de sa maison pendant les mois d’août et septembre 1844 (1844 ; Ms 122 (1053) n° 2). Scellant leur amitié, Cloquet lui envoie un « petit buste », dont il est loisible de penser qu’il s’agit d’un exemplaire du buste sculpté par Dantan jeune en 1844 (Ms 122 (1053) n° 7).
Jules Cloquet ne manque pas d’évoquer ses amis ou leurs relations communes, ceux chez qui il passe quelques jours : Pierre Fidèle Bretonneau (1778-1862) à Tours ou Louis Girou (1805-1891) à Buzareingues : « Nous avons baptisé l’enfant, festoyé, péché aux écrevisses », déclare-t-il dans une lettre du 3 septembre 1844, laissant à penser que l’enfant baptisé est peut-être le fils de son ami, Jules Roger Girou de Buzareingues, né le 19 octobre 1843 (1844 ; Ms 122 (1053) n° 3) – le père et le fils signeront l’acte de décès de Jules Cloquet en 1883.
Loin de Paris : Boulogne-sur-Mer, Versailles et l’Angleterre
Jules Cloquet aime voyager. On le connaît cicérone des deux fils Flaubert, d’Achille en Écosse en 1835, de Gustave dans les Pyrénées et en Corse en 1840. Surtout, il n’aime pas la capitale et la quitte dès qu’il le peut :
C’est bien à regret que je me vois encore à Paris. Je suis comme ces écoliers délaissés que l’on retient au collège, pendant que tous les camarades sont en vacances. Aussi je vous assure que je compte bien employer mon temps en Angleterre. (1868 ; Ms 122 (1053) n° 23)
Elle est non seulement la ville des miasmes : « notre grande, vieille et sale Babylone où l’on ne respire qu’un air méphitique » (1855 ; Ms 122 (1053) n° 13) mais aussi le centre d’une politique que le baron d’empire méprise, du moins depuis la chute de Napoléon III, comme étant « trop sale et trop vulgaire pour ne pas inspirer un profond dégoût à tous les gens honnêtes et de bon sens. » (1874 ; Ms 122 (1053) n° 25). Pendant la guerre franco-prussienne, il se réfugie à Boulogne-sur-Mer, écrivant le 31 octobre 1870 :
Nous sommes profondément affligés de l’état de notre pauvre et belle France et des menaces de son avenir ! Ici du reste nous vivons assez tranquillement en relations habituelles avec quelques réfugiés de Paris et sommes obligés de prendre avec eux notre temps avec patience. Du reste à Boulogne l’esprit est bon et disposé à la résistance. On craint toujours que les Prussiens ne viennent à Amiens et ne prolongent leur promenade jusqu’ici ? Mais jurons que les assauts doivent aller vite en bien ou en mal. Dieu veuille que ce soit en bien. (1870 ; Ms 122 (1053) n° 24)
Hormis Boulogne-sur-Mer et Versailles où il réside dans les années qui suivent la guerre, Jules Cloquet se rend souvent en Angleterre. Veuf en premières noces de Juliette Lebreton (1800-1842), issue d’une double lignée de chimistes et fille de Joachim Lebreton (1760-1819), portraituré par Adélaïde Labille-Guiard en 1795 (Kansas City, Missouri, The Nelson-Atkins Museum of Art) [AURICCHIO 2022] – avec qui il a eu deux filles –, il épouse en secondes noces la britannique Frances Mary Corney (Guisborough, Yorkshire, 10 janvier 1808-Paris, 17e arrondissement, 13 février 1889), leur mariage étant célébré à la Old Church de Saint-Pancras le 24 août 1846, puis le 19 septembre à Saint-Roch. Outre leurs vacances auprès de la belle-famille à Redcar, dans le Yorkshire, il se voit ouvrir les portes de la haute société londonienne, assistant par exemple à un dîner en l’honneur de John Hanning Speke et de James Augustus Grant « qui ont découvert les sources du Nil, en attaquant l’Afrique par l’hémisphère austral. » (1863 ; Ms 122 (1053) n° 20).
Invité par l’ambassadeur Jean-Baptiste Louis, baron Gros (1793-1870), il remarque sa collection de dessins sans mentionner sa pratique de la photographie :
[…] notre ambassadeur M. le baron Gros […] ayant vu beaucoup, il a beaucoup à raconter et il raconte fort bien, ce qu’il a été à même de voir et d’observer dans les deux Amériques, dans l’Inde, à la Chine et au Japon où il a rempli successivement et avec honneur d’importantes fonctions diplomatiques. M. le baron Gros est un dessinateur distingué, et il a rapporté plus de 600 dessins de ses voyages. (1863 ; Ms 122 (1053) n° 20)
Le goût de la Provence et de la botanique
Mais ce qui occupe principalement Jules Cloquet, c’est sa retraite provençale de Lamalgue, aux environs immédiats de Toulon, et son goût de la botanique.
La Méditerranée – et la marine militaire française – est son point de mire :
Ce qu’il me faut, c’est de végéter comme un roseau tranquillement sur les bords de notre grand lac. Le 12 nous verrons rentrer la flotte triomphante et on leur prépare de grandes fêtes à Toulon. Moi en passant je leur ferai sonner toutes les fanfares de trompettes, si toutefois mon joueur mécanique arrive à temps. (1844 ; Ms 122 (1053) n° 3)
sans sortir de mon jardin j’ai pu assister à la représentation qu’on nous a donnée d’une grande bataille navale. Sur la terrasse nous étions aux premières loges et tout la population au parterre, c’est-à-dire sur le rivage. ([1862] ; Ms 122 (1053) n° 28)
Le jardinage le passionne :
Tous mes projets et plans ont été fidèlement exécutés et cette ornementation utilitaire du littoral augmentera beaucoup l’agrément de notre cottage. (1844 ; Ms 122 (1053) n° 3)
J’ai trouvé mes plantations en parfait état de prospérité et d’accroissement mes palmiers, mes bananiers, mes chênes à glands doux sont superbes. (1856 ; Ms 122 (1053) n° 14)
Mais l’acclimatation botanique lui est plus qu’un passe-temps, et sa compétence trouve à s’insérer dans un réseau de correspondants, un peu partout en France :
Je compte m’arrêter pour quelques heures à Saint-Rémy pour répondre à une invitation du maire et visiter les plantations de cette riche contrée, dans l’intérêt de l’acclimatation. Ils ont des bambous – je veux les voir et les comparer aux miens qui ont souffert de la chaleur et n’ont donné que peu de rejetons jusqu’à présent. (1868 ; Ms 122 (1053) n° 22)
J’ai expédié avant-hier deux colis renfermant des plantes à acclimater […] L’un de ces colis adressé à Rufz de Lavison au jardin d’acclimatation du bois de Boulogne doit arriver à Paris sans changer de wagon et j’ai écrit à Rufz pour le prévenir ; vous aurez la bonté de vous informer de ce colis ? Le second colis est adressé à mon ami Lesêble, à Ballan, près Tours (Indre-et-Loire). Ce colis doit changer de route au Guétin je pense, pour être dirigé vers Tours. ([1862] ; Ms 122 (1053) n° 28)
Étienne Rufz de Lavison (1806-1884), associé national de l’Académie de médecine, que son état de santé avait contraint à abandonner la pratique médicale pour se consacrer aux travaux de la Société d’acclimatation, était devenu le directeur du jardin du bois de Boulogne à sa création en 1860.
Jérôme van Wijland
Pour citer ce billet :
Jérôme van Wijland, « Quelques lettres de Jules Cloquet à Charles Devilliers fils », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 10 novembre 2023. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/cloquet-devilliers/.
Bibliographie :
[AURICCHIO 2022] Laura Auricchio, « Adélaïde Labille-Guiard, Portrait of Joachim Lebreton, 1795 », dans Aimee Marcereau DeGalan (ed.), French Paintings and Pastels, 1600-1945. The Collections of the Nelson-Atkins Museum of Art, 2022 [en ligne], https://nelson-atkins.org/fpc/downloads/articles/416.pdf
[HUGUET 1991] Françoise Huguet, Les professeurs de la Faculté de médecine de Paris. Dictionnaire biographique, 1794-1939, Paris, Institut national de recherche pédagogique, Éd. du C.N.R.S, 1991, p. 115-117
[LECLERC 2020] Yvan Leclerc, Cat. 21, portrait de Jules Cloquet par Caroline Commanville, dans Jérôme van Wijland (dir.), Jérôme Farigoule (collab.), Dominique Lobstein (collab.), Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et des sculptures, Gand, éditions Snoeck, 2020, p. 153-158
[LÉGER & VAN WIJLAND 2021] François Léger, Jérôme van Wijland, « Un “centre de direction, d’action et d’informations” : la commission de l’hygiène de l’enfance de l’Académie de médecine (1866-1999) », dans Emmanuelle Berthiaud, François Léger, Jérôme van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021, p. 179-206
[LÉGER 2020] François Léger, Cat. 49, portrait de Charles Jean François de Villiers par Louis Alexis Lecerf, dans Jérôme van Wijland (dir.), Jérôme Farigoule (collab.), Dominique Lobstein (collab.), Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et des sculptures, Gand, éditions Snoeck, 2020, p. 266-269
Autres ressources :
Jules Cloquet, Le Voyage en Italie, [en ligne], transcription, introduction et notes par Estelle Lambert, 2003, https://www.biusante.parisdescartes.fr/cloquet/