« Le dernier hiver du Cid », de Jérôme Garcin, prix Jean Bernard 2019

Décerné depuis 2003 par l’Académie nationale de médecine, le Prix Jean Bernard a été attribué en 2019 à Jérôme Garcin, pour son ouvrage Le dernier hiver du Cid (Gallimard, 2019).

A la clinique Violet, un jour de novembre 1959, le professeur François de Gaudart d’Allaines, croyant intervenir pour un abcès amibien, découvre chez Gérard Philipe un carcinome hépatocellulaire le condamnant à très court terme. Mais le lecteur du livre de Jérôme Garcin savait déjà, dès les premières pages, que la fatigue qui accablait Gérard Philipe à Ramatuelle à la fin de l’été 59 n’était pas « celle des jours heureux » mais l’annonce de la foudre qui terrasse finalement l’acteur à 36 ans, à peine trois mois plus tard, sans que la vérité de sa maladie lui ait jamais été révélée, ni par ses proches, ni par son médecin.

Au delà du tragique, un sentiment de présence et même d’intimité naît de détails qui sont autant de souvenirs : on franchit les grilles du parc de Cergy, la porte de l’appartement de la rue de Tournon, on se glisse même sur la pointe des pieds dans la chambre, et les pages qu’on tourne sont autant de coups d’œil inquiets et tristes sur le héros endormi. Et comme Anne sa femme, le lecteur, témoin de ces ultimes journées, a parfois le sentiment d’entretenir un tendre et pieux mensonge, pour que la vie se poursuive, avec ses rêves et ses projets – incarner Le comte de Monte-Cristo au cinéma – jusqu’à cette nuit du 25 novembre 1959, où un livre se referme sur une page d’Euripide. « Sur la table de nuit repose le volume des Troyennes, un coupe-papier en nacre fiché à la page 123, avec, dans la marge, ce leitmotiv : « Pour moi, dans vingt ans » » (p. 167).

Et en effet le récit n’est pas celui d’une agonie. L’évocation du compagnonnage avec le Parti communiste, de ses amis Jean Vilar, René Clair, Georges Perros, de ceux qui ne le connaissent pas mais lui rendent hommage, François Mauriac ou Aragon, replongent le lecteur dans la bouillonnante vie culturelle de la France des années 1950. Surtout, page après page, le foisonnement de talents qui entourent l’acteur, lui rappelant les triomphes passés ou l’emmenant vers les prochains succès, révèle l’extraordinaire vitalité de Gérard Philipe, que ni la maladie fatale ni même la mort ne peuvent empêcher de rayonner.

Les jurys du prix Jean Bernard ont récompensé successivement depuis 2003 :

– 2003 : Schmitt, Éric-Emmanuel, Oscar et la dame rose, Paris, Albin Michel, 2002
– 2004 : Winckler, Martin, Les trois médecins, Paris, P.O.L., 2004
– 2005 : Gendarme, Jean-Baptiste, Chambre sous oxygène, Paris, Gallimard, 2005
– 2006 : Didier, Marie, Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard, 2006
– 2007 : Sénanque, Antoine, La grande garde, Paris, Grasset, 2007
– 2008 : Marin, Claire, Hors de moi, Paris, Éditions Allia, 2008
– 2009 : Carrère, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, P.O.L., 2009
– 2010 : Fonclare, Guillaume de, Dans ma peau, Paris, Stock, 2009
– 2011 : Rostain, Michel, Le fils, Paris, Oh ! éd., 2011
– 2012 : Márai, Sándor, La sœur, Paris, Albin Michel, 2011
– 2013 : Mabin Chennevière, Yves, Portrait de l’écrivain en déchet, Paris, Seuil, 2013
– 2014 : Le Drian, Marie, Le Corps perdu de Suzanne Thover, Rennes, Apogée, 2013
– 2015 : Lanot, Charles, Médecin de campagne, Versailles, Illador, 2014
– 2016 : Malzieu, Mathias, Journal d’un vampire en pyjama, Paris, Albin Michel, 2016
– 2017 : Merle-Béral, Hélène, 17 femmes prix Nobel de sciences, Paris, Odile Jacob, 2016
– 2018 : Lançon, Philippe, Le lambeau, Paris, Gallimard, 2018
– 2019 : Garcin, Jérôme, Le dernier hiver du Cid, Paris, Gallimard, 2019

François Léger

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