Noël Fiessinger et le Laboratoire de pathologie expérimentale et comparée au carrefour de la science internationale

La carrière du professeur Noël Fiessinger (1881-1946)

Noël Fiessinger naquit dans une famille de médecins. Son grand-père, Charles Théophile Fiessinger (1811-1866), était médecin à Mutzig dans le Bas-Rhin. Son père, Charles Albert Fiessinger (1857-1942), avait opté pour la France et quitté l’Alsace annexée pour s’établir, d’abord dans les Vosges puis dans les montagnes du Jura, à Oyonnax. Praticien de campagne, il publia des travaux qui attirèrent l’attention de ses confrères parisiens et lui valurent d’être élu membre correspondant de l’Académie de médecine en 1896, dans la division d’anatomie et physiologie. Il fut surtout un journaliste médical de premier plan, fondant le Journal des praticiens.

La dynastie se perpétua puisque la fille de Noël, Jeanne Armande Fiessinger (1914-2005) épousa un médecin et futur professeur, Louis Gougerot (1915-1985), lui-même fils du professeur et académicien Henri Gougerot (1881-1955), et que son propre fils Charles Noël Fiessinger (1917-2006) devint médecin à son tour, tout comme son petit-fils Jean-Noël Fiessinger, président de l’Académie nationale de médecine pour 2025.

Né un 24 décembre 1881, ce qui explique le choix de son prénom, Noël Fiessinger fit des études de médecine, d’abord à Lyon, très vite à Paris, où il fut reçu brillamment aux différents concours : externat, internat, doctorat en 1908, agrégation en 1920. Sa carrière fut couronnée des mêmes succès : médecin des hôpitaux en 1920, il devint chef de service en 1925 à Bicêtre, passant successivement à la Maison de santé en 1926, à Saint-Louis en 1929, à la Charité en 1931, enfin à Necker en 1934.

Il devint en 1931 professeur de pathologie expérimentale et comparée, en remplacement de Francis Rathery (1877-1941), puis, en 1939, titulaire de la prestigieuse première chaire de clinique médicale, à l’Hôtel-Dieu, en remplacement de Paul Carnot (1869-1957), ne l’inaugurant que le 13 octobre 1940, en pleine occupation. Il fut peu après élu membre de l’Académie de médecine, dans la section de médecine, le 15 octobre 1940, succédant au neurologue Pierre Marie (1853-1940).

Mais l’ablation de la prostate en août 1943, suivie de la mort de son épouse le 19 février 1944, l’angoisse à la pensée de son fils Charles résistant depuis les maquis, les épreuves quotidiennes de la guerre enfin, achevèrent de le fragiliser. Le 15 janvier 1946, quelques heures après avoir prononcé l’éloge d’un confrère, le Lyonnais Jean Marie Paviot (1866-1944), à l’Académie de médecine, il succomba chez lui, « à sa table de travail, en examinant une malade, donc accomplissant son devoir de médecin », écrivit Henri Gougerot, père de son gendre [GOUGEROT 1946 p. 130]. « Mourir d’une mort si belle qu’elle soit une récompense… », écrivit quant à lui son neveu le docteur Gabriel Laurence (1911-1997) [LAURENCE 1946 p. 17].

Il n’avait pas manqué de témoigner son attachement patriotique et de démontrer son courage en accomplissant doublement son devoir, pendant les deux guerres mondiales. Il fut cité à l’ordre du service de santé de la IIe armée, non seulement pour ses travaux sur les plaies de guerre, mais surtout pour s’être, quoique réformé, « spontanément mis à la disposition du service de santé avant l’heure de la mobilisation », pour son dévouement et son courage, sauvant les blessés pendant le bombardement de Montdidier en février-mars 1917, ainsi que lors de missions bénévoles [FIESSINGER 1929]. Il fut, pour ces mêmes raisons, élevé à la dignité de chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, par arrêté ministériel du 16 mars 1921, pour prendre rang du 16 juin 1920 [AN, Léonore, 19800035/843/96440]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut médecin consultant de la 1ère armée, de septembre 1939 à juin 1940, puis médecin consultant de l’armée de Paris, de juin à juillet 1940.

Comme le voulait le genre et l’héritage de l’anthropologie raciale, les auteurs d’éloges, de son vivant ou après sa mort, ne manquèrent pas de le définir de manière phénotypique :

« petit avec une carrure de montagnard, relevant fièrement la tête, faciès Beethovenien au large front, aux yeux noirs profonds et mobiles, à la bouche expressive, gestes sobres, voix bien timbrée, allure toujours jeune et rapide, ensemble dynamique, séduisant, ami fidèle et délicat… » [GOUGEROT 1946 p. 128]

Le don récent, par Jean-Noël Fiessinger, des registres d’expérience de Noël Fiessinger sur les animaux et les humains ainsi que de sa correspondance passive avec ses pairs à travers le monde dans les années 1930, permet de revenir sur trois caractéristiques de la personnalité du savant : Noël Fiessinger fut avant tout un éditeur scientifique, un pédagogue et un chercheur.

 

Une position de choix au sein du journalisme médical

Il occupait tout d’abord une position de choix dans le monde du journalisme médical.

C’est son père, Charles Fiessinger, qui en 1887 fonda le Journal des Praticiens (sur l’essor des revues médicales françaises à la fin du XIXe siècle, voir [TESNIÈRE CANTAU 2014]). Noël Fiessinger, jeune chercheur, y trouva bien vite une tribune qui lui était acquise et il y publia dès octobre 1904. Il finit par en être à la fois le co-directeur et le co-rédacteur en chef à partir de 1922, conjointement avec son père, le titre de directeur étant également conféré au professeur et académicien Albert Robin (1847-1928). Les Fiessinger s’associèrent ensuite à Joseph Laurence (1878-1952), beau-frère de Noël, à qui échut le secrétariat général de la revue, bientôt secondé par son fils Gabriel Laurence. À la mort de son père en 1942, Noël Fiessinger assuma seul les fonctions de directeur.

De son titre complet : Revue générale de clinique et de thérapeutique. Journal des praticiens, le journal exista jusqu’en septembre 1951 (65e année), après quoi il fut fondu dans un nouveau titre, encore vivant de nos jours : La Revue du praticien, qui absorbait également le Paris médical.

Le prestige que tirait Noël Fiessinger de cette filiation journalistique se fait sentir dans certaines lettres qui lui sont adressées. En novembre 1934, depuis Bucarest, Ion Nanu Muscel (1862-1938), remerciait Noël Fiessinger de l’envoi de de son ouvrage Physiopathologie des traversées chimiques et bactériennes dans l’organisme :

« Parce qu’il faut vous avouer, qu’étant un vieil abonné du Journal des praticiens et ayant une grande estime pour M. votre père, je vous ai toujours suivi dans votre brillante ascension. Depuis que vous étiez le jeune interne lauréat et le collaborateur du regretté maître Huchard et de Monsieur votre père (clinique thérapeutique) ensuite éminent élève de l’école de Chauffard, jusqu’à ce que vous êtes arrivé au sommet de la pyramide, devenant le maître et le distingué professeur que vous êtes, dans la traversée de toutes ces belles étapes, je ne vous ai jamais perdu de vue. Vos travaux ne manquent pas de ma bibliothèque et je les consulte souvent pour la rédaction de mes leçons. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 14 a]

Lui demandant en décembre 1936 une consultation pour un proche parent, depuis Kalymnos dans le Dodécanèse, le docteur Sakellarios Cl. Zervos prenait la peine de préciser :

« Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement, mais j’ai eu la félicité de connaître Mr votre père, il y a pas mal d’années déjà, dans les hôpitaux de Paris, quand collaborateur de Huchard il recueillait du matériel pour son Journal des Praticiens, dont je suis abonné, depuis 43 ans. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 7 d]

Noël Fiessinger fonda aussi, en 1942, sa propre revue, consacrée à son domaine de recherche de prédilection : la Revue du foie.

Enfin, il était membre de la Commission interministérielle de la Presse médicale et fut élu Président du bureau de l’Union de la Presse médicale française par ses pairs.

Un beau témoignage de l’influence de Noël Fiessinger au sein du journalisme médical français nous est fourni par une lettre qu’Erwin Rutishauser, de l’Institut pathologique de l’université de Genève, lui adressa, en mars 1939, lui demandant conseil pour la publication d’un article dont il avait suscité la rédaction :

« Je me permets de vous soumettre un article que MM. Guye et Queloz ont fait sur ma demande. Je me sens un peu responsable car j’ai eu besoin de ces données pour un compte rendu à la Société Suisse des Sciences Naturelles. Je ne sais trop à quelle rédaction adresser cette petite communication car elle me semble trop peu morphologique pour les Annales et de trop peu d’intérêt pour le médecin praticien pour l’envoyer à la Presse Médicale. Je m’excuse de vous importuner avec les hésitations, mais votre conseil me serait extrêmement précieux. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 16 h]

 

Un pédagogue

Ses qualités de pédagogue sont partout soulignées, même s’il convient de se garder du caractère convenu de tels éloges. Pourtant certains de ses confrères ne bénéficiaient pas des mêmes compliments, puisque Louis Dartigues (1869-1940), décrivant la première leçon inaugurale du professeur Fiessinger, en décembre 1931, osait une comparaison cruelle avec le professeur Maurice Loeper (1875-1961) :

« Aujourd’hui, c’est mon ami le Prof. Loeper, professeur de thérapeutique, qui parle avant la venue de Fiessinger. Il ne se dissimule pas ce succès qui s’ébauche pour le suivant et il a même l’intelligence de le dire, ce qui est charmant. Je suis donc obligé, pendant près de trois quarts d’heure, « d’encaisser » son exposé sur l’ouabaïne et ses dérivés que sa parole élégante et facile ne fait pas arriver à mon cœur impatient pas plus qu’ancrer dans la mémoire des assistants : que restera-t-il de cette leçon dans le cerveau de ces étudiants seulement effleurés et caressés, plutôt que labourés par la parole magistrale, et, d’ailleurs, en attente d’autre chose où il y aura du plaisir et une satisfaction d’intense curiosité ? » [DARTIGUES 1931 p. 3955]

Ses livres d’enseignement devinrent des classiques plusieurs fois réédités. Il fit ainsi paraître, la plupart du temps chez Masson : Physiopathologie des syndromes endocriniens, en 1933, Nouveaux procédés d’exploration fonctionnelle du foie, en 1934 (en collaboration avec Henry Walter), Physiopathologie des traversées chimiques et bactériennes dans l’organisme, en 1934 ou Les Explorations fonctionnelles, en1937. Dans la Collection des initiations médicales dirigée par Albert Sézary (1880-1956), il fit paraître Endocrinologie, en 1935 (2e éd. en 1940) et Les premiers pas dans la médecine, en 1940. Des numéros spéciaux de la Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu prirent la forme de monographies : Syndromes et maladies, en 1942, Diagnostics difficiles, en 1943.

Son ouvrage Les diagnostics biologiques, d’abord paru en 1918 sous le titre Les diagnostics biologiques en clientèle, connut une 2e édition en 1921, une 3e en 1929, en collaboration avec Henri-René Olivier et Maurice Herbain, qui lui valut le prix Desportes de l’Académie de médecine 1930, une 4e édition en 1938, avant de connaître deux éditions posthumes, en 1944 et en 1946, cette 6e édition ayant paru sous le titre : Les diagnostics biologiques et fonctionnels. Entre la 1ère édition, 336 pages, et la 6e édition, 961 pages, le volume avait presque triplé.

Sa notoriété d’enseignant traversait les océans, si bien que Domingo J. Brachetto Brian, professeur adjoint d’anatomie pathologique à l’université de Buenos Aires, lui écrivit en 1935 pour lui demander la manière dont la pathologie générale et expérimentale était enseignée à la Faculté de médecine de Paris, afin de l’appliquer éventuellement au plan d’études de la faculté de Buenos Aires [Ms 1443 (2314) n° 5 d].

Mais ce qui ressort encore plus des registres d’expérience de Noël Fiessinger comme de sa correspondance passive, c’est son inlassable activité de chercheur.

 

Domaines d’expertise : le sang et le foie

Si l’on excepte la biologie des plaies de guerre, étudiée de manière conjoncturelle à l’occasion de son travail au sein du centre hospitalier établi à Montdidier pendant la Première Guerre mondiale, Noël Fiessinger eut deux domaines d’expertise principaux : le sang et le foie. À cette époque cependant, encore très imprégnée de la doctrine de l’école clinique française, la spécialisation continuait d’être parfois perçue comme un défaut, à telle enseigne qu’Henri Gougerot déclarait : « il se gardait d’être un spécialiste » [GOUGEROT 1946 p. 131].

Élève d’Anatole Chauffard (1855-1932), il découvrit avec son maître les hématies granulofilamenteuses, stigmate sanguin capital de l’ictère hémolytique. Il en tira notamment son ouvrage sur Les ferments des leucocytes en physiologie, pathologie et thérapeutique générales, paru chez Masson en 1923.

Noël Fiessinger défendit, en 1908, une thèse qui annonçait son domaine de prédilection : Histogénèse des processus de cirrhose hépatique, lésion parenchymateuse et cirrhose, étude d’histologie expérimentale et pathologique. Ce fut en effet la pathologie du foie, en particulier la classification des cirrhoses, qui l’occupa tout particulièrement. Les explorations fonctionnelles du foie, par exemple, inspirèrent son cours de Faculté en 1936 puis l’ouvrage éponyme. Il y exposait son utilisation des épreuves du rose bengale et du galactose, qui n’allaient pas tarder à rentrer dans la pratique courante de l’exploration hépatique, et qui sont souvent évoquées dans la correspondance passive de Noël Fiessinger.

Le nom de Noël Fiessinger reste également attaché à la description du syndrome éponyme. Alors qu’il travaillait à l’hôpital de Montdidier durant la Première Guerre mondiale, il fut témoin, avec son confrère Edgar Leroy (1883-1965), d’une épidémie de dysenterie dans la Somme. Ils en firent le bilan et livrèrent, à cette occasion, le tableau clinique d’une forme d’arthrite réactionnelle qu’ils dénommèrent « syndrome conjonctivo-urétro-synovial », ignorée de la littérature :

« Tout autre nous paraît un syndrome que nous avons observé quatre fois et que nous avons dénommé syndrome conjonctivo-urétro-synovial. Il s’observe chez des bacillaires entre le dixième et le vingtième jour d’une dysenterie bénigne, mais à température oscillant aux environs de 38° pendant cinq à six jours. Le tableau se présentait de la façon suivante : un matin, le malade se plaint à la fois de larmoiement et de douleur à la miction. On l’examine, il présente une conjonctivite banale, le plus souvent unilatérale, avec parfois un exsudat blanchâtre au niveau de la caroncule lacrymale. La pression de l’urètre antérieur fait sourdre du méat, dont les bords sont collés, une gouttelette grisâtre filante, contenant du pus. Nous avons examiné l’exsudat conjonctival et la goutte urétrale, sans trouver ni gonocoque, ni aucun élément microbien spécial. D’ailleurs, en quarante-huit heures, conjonctivite et urétrite disparaissent. Des douleurs vives apparaissent alors au niveau de plusieurs articulations : cou, colonne vertébrale, cou-de-pied ; les douleurs sont mobiles, mais au troisième et quatrième jour elles se localisent au niveau des deux genoux le plus spécialement, ou du poignet. Une hydarthrose volumineuse apparaît peu douloureuse, au niveau des genoux. (…) » [FIESSINGER LEROY 1916 p. 2051]

Ils ne manquèrent pas d’insister, en conclusion, sur le fait que ce syndrome n’avait encore jamais été signalé [FIESSINGER LEROY 1916 p. 2068-2069].

Le médecin allemand Hans Reiter (1881-1969) décrivit concomitamment ce même syndrome, ce qui explique la dénomination de syndrome de Reiter, parfois de Fiessinger-Leroy-Reiter qui lui fut longtemps associée [REITER 1916]. En raison de son engagement nazi ultérieur (pour avoir été membre actif du parti nazi dès 1931, membre de la SS, responsable de l’Office de la santé du Reich – Reichsgesundheitsamts – et avoir participé activement aux expériences médicales sur les détenus des camps de concentration : inoculation de la typhoïde, stérilisations forcées, euthanasies), la communauté médicale abandonna progressivement cet éponyme, lui préférant le terme d’ « arthrite réactionnelle » ou de « syndrome oculo-urétro-synovial », voire réactivant d’autres éponymes, tel que le « syndrome de Stoll-Brodie-Fiessinger-Leroy » [IGLESIAS-GAMMARA RESTREPO VALLE MATTESON 2005].

 

Un expérimentateur

Les registres d’expériences de Noël Fiessinger, qui couvrent en trois volumes la période allant d’octobre 1931 à juin 1945, témoignent des expérimentations quotidiennes menées par Noël Fiessinger et ses collaborateurs, sur les chiens, les lapins, les cobayes, les souris, les rats, les têtards, voire les humains (donneurs de sang), parfois même des fleurs comme les jacinthes [BANM, Ms 976 (1847) n° 1-3]. Noël Fiessinger qui, dans sa leçon inaugurale de 1931, ne manquait pas d’inscrire sa démarche dans la continuité de celle de Claude Bernard [FIESSINGER 1931 p. 17-20], citait à l’appui de la nécessité d’expérimenter sur l’homme cette phrase du célèbre physiologiste : « Parmi les expériences que l’on peut tenter sur l’homme, […], celles qui ne peuvent que nuire sont défendues, celles qui sont innocentes sont permises, et celles qui peuvent faire du bien sont commandées. » [FIESSINGER 1931 p. 26-27].

Il définissait ainsi le Laboratoire de pathologie expérimentale et comparée :

« Le laboratoire de pathologie expérimentale et comparée comprend à la fois un foyer de travail et un centre de recherches. Ce que je vous dis des méthodes convergentes nécessite l’emploi de sciences diverses, chimie, biologique [sic], physico-chimie, hématologie, anatomie pathologique. » [FIESSINGER 1931 p. 30]

À la lecture des registres d’expériences, c’est toute l’activité de ce laboratoire de pathologie expérimentale et comparée qui se trouve mise au jour.

Les injections ou perfusions expérimentales y sont renseignées, ainsi que l’évolution de l’état de l’animal, enfin l’autopsie après décès « naturel » ou sacrifice. Des schémas précisent parfois la technique instrumentale. Les collaborateurs, Robert Messimy (1905-1986), Raoul Palmer (1904-1985) ou d’autres, sont mentionnés.

Un chien de 15 kg fit ainsi l’objet d’une choledoco-iléostomie le 4 janvier 1938. Le 17 janvier, il allait « très bien, sans ictère ». Le 8 mars, il était « sacrifié en pleine cachexie après une compression médullaire faite par Christeas ».

« La fistule malgré une grosse dilatation du cholédoque et de la vésicule est perméable à la bile. On trouve au voisinage du pylore un gros ulcère perforé et maintenu par une faible barrière d’adhérence. Foie dégénéré avec aspect gris jaunâtre. » [BANM, Ms 976 (1847) n° 3]

Noël Fiessinger agrémenta la fiche d’un schéma et, chose rare, d’une photographie du foie, précisant en grosses lettres dans le registre : « Exemple typique de gros ulcère du duodénum ».

Quelques semaines plus tard, le 23 juin 1938, depuis Athènes, Nikolaos Christeas remerciait Noël Fiessinger de l’accueil qu’il lui avait réservé au sein de son laboratoire :

« Du pays d’Hippocrate, je vous envoie mes respectueux souvenirs et mes profonds remerciements pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vos précieux conseils et l’amabilité avec lesquelles vous m’avez comblé me resteront inoubliables. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 7 e]

En octobre 1938, une expérience comparative est tentée. Avec Raoul Palmer et un certain Paulat, une cholédocojéjunostomie est opérée sur un chien mâle de 22 kg, pour conclure : « En somme expérience négative. La cholédoco-jejunostomie n’agit pas de la même façon que la cholédoco-iléostomie. » [BANM, Ms 976 (1847) n° 3]

 

Un chercheur de premier plan au sein d’un réseau international

Dans l’entre-deux-guerres, le monde changeait à toute vitesse. Louis Dartigues soulignait les évolutions du public venu assister à la leçon inaugurale de Noël Fiessinger en 1931 :

« Ce public a tout de même changé depuis l’époque du début de nos études, changé d’aspect : rasé, plus propre, moins agité et plus-hétéroclite, plus international, car il y a là des jeunes hommes de toutes les parties du monde….. et aussi des femmes en nombre appréciable, qu’on ne voyait pas de notre temps : un jour viendra où ce sera peut-être une assemblée des femmes comme au temps d’Aristophane et où l’ovaire dominera le testicule, mais peu importe, si le cerveau total conserve sa valeur ! » [DARTIGUES 1931 p. 3955]

Des étrangers, des femmes, ces mêmes femmes dont Charles Fiessinger dénonçait quelques années plus tôt « l’inaptitude médicale » :

« La femme doctoresse est une de ces herbes folles qui ont envahi la flore de la société moderne ; très innocemment elle s’est imaginée qu’ouvrir des livres et disséquer des cadavres allait lui créer un cerveau nouveau. »  [FIESSINGER Ch. 1900 p. 81].

Charles Fiessinger était royaliste, fidèle membre de l’Action française, collaborateur des journaux Candide et L’Action française. Que son fils Noël Fiessinger eût, ou non, partagé ces vues, la lecture de sa correspondance passive dans les années 1930 livre le portrait d’un scientifique qui ne s’embarrassait pas de frontières. Cet ensemble est constitué de 196 cartes ou lettres qui témoignent de la vigueur des échanges entre, d’une part, le laboratoire de pathologie expérimentale et comparée de Noël Fiessinger, d’autre part, des laboratoires ou des universités du monde entier. La correspondance provient en effet de nombreux pays européens : Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, Grèce, Hollande, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie, URSS, Yougoslavie, de pays d’Asie situés aux marges de l’Europe : Iran, Turquie, ou au contraire plus éloignés : Japon, enfin de pays d’Amérique :  Argentine, Canada, États-Unis d’Amérique.

Noël Fiessinger le soulignait lui-même dans sa leçon inaugurale de 1931 :

« Chaque jour, nous voyons arriver de jeunes savants étrangers qui seraient heureux, pendant quelques mois, de travailler dans nos laboratoires. Ils pourraient parfois y trouver de la place, mais alors, ce qui manque, c’est l’argent et le matériel. Nous risquons de les voir chercher ailleurs et ceci au grand détriment de notre influence scientifique, l’hospitalité organisée des centres intellectuels est la meilleure et la plus puissante des armes de la paix moderne. » [FIESSINGER 1931 p. 33-34]

Henri Gougerot, dans son éloge, rappelait la notoriété du professeur au-delà des frontières nationales :

« Missionnaire de la médecine française, il fut un des meilleurs ambassadeurs de France : au Canada, lors du quatrième centenaire de Jacques Cartier ; en Tchécoslovaquie, où il avait noué tant d’amitiés sincères ; en Grèce ; en Hollande ; en Suède ; en Italie et, même en pleine guerre, en Yougoslavie et en Roumanie en 1940, faisant, à Bucarest, encore neutre, une conférence sur la maladie de Beethoven (qui était, pour lui musicien, un de ses auteurs préférés) conférence que l’ambassadeur d’Allemagne en Roumanie essaya, sans succès, d’empêcher, et qui eut un succès délirant. Deux fois, en 1938-39, il fut envoyé en Turquie, auprès d’Atatürk, le « Ghazi », le Libérateur, suprême honneur, et pour lui et pour notre pays.  Récemment encore, à Genève, lors de la « Semaine médicale franco-suisse », nous avons vu comment il était apprécié et admiré, recueillant, pour notre pays et la médecine française, les plus fécondes amitiés. » [GOUGEROT 1946 p. 131-132]

Noël Fiessinger lui-même, dans un addendum de 1940 à ses titres et travaux réduit au plus strict minimum en raison des restrictions, énuméra ses missions à l’étranger : « Canada (1934), Tchécoslovaquie (1935), Grèce (1936), Hollande (1937), Stockholm (1937), Stamboul (1938), Rome (1939), Yougoslavie et Roumanie (1940) » [FIESSINGER 1940].

Beaucoup des correspondants de Noël Fiessinger étaient sans frontière, du moins dans leurs années d’apprentissage, se rendant d’un pays à l’autre, d’un laboratoire à l’autre pour y apprendre et s’y perfectionner. Un certain S. Trunov, sur le point de prendre ses fonctions au Medical College de Nagasaki, écrivit depuis Fribourg-en-Brisgau en novembre 1933 :

« Nun ist es aber die höchste Zeit, Ihnen meinen herzlichsten Dank schriftlich auszusprechen, weil ich mich jetzt schon auf dem Wege nach Japan finde. Ihr wertvolles Buch, das Sie damald mit vielen Arbeiten aus Ihrer Klinik mir geschenkt haben, wird mir auf dem Dampfer eine grosse Freude machen. Die Arbeiten aus meiner Klinik werden von Japan zu Ihnen geschickt werden. Nebenbei möchte ich Sie darum bitten, dass Sie Ihren Assistenten, Herrn Dr Olivier, von mir Herzlich grüssen. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 1 b]

« Il est maintenant grand temps de vous exprimer mes remerciements les plus sincères par écrit, car je me trouve déjà sur le chemin du Japon. Votre précieux livre, que vous m’avez offert à l’époque avec de nombreux travaux de votre clinique, me procurera une grande joie sur le paquebot. Les travaux de ma clinique vous seront envoyés du Japon. En passant, je vous prie de transmettre mes salutations à votre assistant, le Dr Olivier. »

Une grande partie de cette correspondance est constituée de cartes pré-imprimées, comportant des demandes de tirages à part, témoignant de la recherche permanente, par les scientifiques du monde entier, des publications décisives en pathologie expérimentale et comparée. Certains manifestaient cet intérêt dans des lettres rédigées, tel Manfred Kiese (1910-1983), du Pharmakologisches Institut der Friedrich-Wilhelms-Universität Berlin, qui en août 1936, exprima son intérêt pour l’étude du métabolisme du foie isolé : « Ihre Untersuchungen über den Stoffwechsel der isolierten Leber interessieren uns sehr. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 1 h] (« Vos recherches sur le métabolisme du foie isolé nous intéressent beaucoup. »)

Au-delà des échanges de publications, ouvrages ou articles tirés à part, et des propositions de publication dans des revues, la lecture de cette correspondance fait émerger la haute considération dont jouissait Noël Fiessinger, ses collaborateurs, son laboratoire, ses méthodes, et à travers eux, l’école expérimentale française.

Jean Steinmann, par exemple, depuis Genève, lui confiait en juin 1938 :

« Mais permettez-moi, une fois de plus, de vous dire l’attachement que j’ai pour vous et la reconnaissance que je vous dois. À mesure que le temps passe je sens mieux la valeur de ce que vous m’avez appris, et ce n’était pas simplement une connaissance de l’étude fonctionnelle hépatique que j’emportais de Paris, mais surtout une méthode de travail destinée à me rendre heureux. Je vous dois en effet, cher Maître, d’avoir appris à considérer d’un œil neuf et curieux tous les problèmes de la médecine, même les plus simples, même les plus quotidiens, et par là, de tirer de chaque chose le maximum de satisfaction et de joie. Et c’est justement au moment où le travail devient journalier que je ressens toute la valeur de cet enseignement. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 16 g]

Le docteur Euth. S. Panayotopoulos, s’apprêtant à passer les différents concours médicaux en Grèce, rappelait tout ce qu’il devait au maître, dans une lettre envoyée d’Athènes en février 1939 :

« […] mon voyage d’études à cette belle France […] restera, pour toute ma vie, gravée dans mon âme : les raisons vous en connaissez, j’ai eu cette première et dernière peut-être occasion dans ma vie, de travailler auprès de vous et d’avoir appris le goût et l’amour du travail, de vous avoir eu comme guide infatigable dans toute mon œuvre et enseignement, qui me facilitera dans ma future évolution scientifique, qui vous appartiendra toute entière, parce que vous l’avez créée, je ne peux pas oublier tout ce que vous avez fait pour moi et permettez-moi encore une fois de vous exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance éternelle. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 7 f]

Le pouvoir d’attraction de l’école expérimentale française, parisienne surtout, et du laboratoire de Noël Fiessinger en particulier, suscitait de nombreuses demandes de stage. Le professeur L. Drastich de l’université Masaryk à Brno, demandait ainsi en avril 1937 à son confrère français d’accueillir dans son service un assistant :

« Mon assistant Mr F. Šantavý voudrait faire un stage dans les laboratoires des instituts étrangers afin de se familiariser avec les différentes méthodes. La France et surtout Paris est célèbre par ses grands travailleurs scientifiques en médecine. Je connais personnellement les méthodes employées dans vos laboratoires. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir avoir l’obligeance d’accepter mon assistant parmi vous afin qu’il puisse travailler sous votre direction, les thèmes tels que les protéines sanguines et dans le domaine des recherches hépatiques. » [BANM Ms 1443 (2314) n° 17 d]

Noël Fiessinger dut y répondre favorablement puisque dans un courrier du mois suivant, František Šantavý (1915-1983) annonçait son arrivée pour le mardi 18 mai 1937 [BANM, Ms 1443 (2314) n° 17 f].

Georges Syllaba (1902-1997) n’était pas en reste, écrivant à Noël Fiessinger en mai 1935, depuis Karlovy Vary, ou Carlsbad, l’une des principales stations thermales d’Europe centrale :

« Je suis revenu à Karlovy Vary. Souvent je me souviens de mon séjour à Paris et avant tout je voudrais vous remercier pour votre amabilité que vous m’avez montrée pendant ma visite à Paris. J’ai appris beaucoup chez vous, dans votre service et dans votre laboratoire à la faculté. Je sais bien que vous n’aimez pas être flatté, mais si je vous dis, que j’estime profondément la manière avec laquelle vous travaillez – ce n’est pas une expression de flatterie. J’ai bien compris, avec quel zèle et sévérité vous cherchez la vérité dans la médecine, sans aucun compromis, sans aucune arrière pensée. Il ne vous s’agit que de la vérité pure et une telle science est féconde et apporte toujours les meilleurs résultats. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 17 b]

Pour obtenir le titre d’Assistant étranger des Hôpitaux, il avait soutenu devant la Faculté de médecine de Paris, à l’issue de son passage chez le professeur Fiessinger, un mémoire intitulé La Consommation d’Oxygène par le Foie dans des Conditions diverses.

Le Belge Jean Lederer (1910-2003), installé à Vienne, offrait en janvier 1937 une comparaison éloquente des cultures médicales française et autrichienne :

« Comme vous le voyez, je suis pour le moment à Vienne où je travaille surtout chez Bauer et un peu chez Falta et Eppinger. J’ai été assez surpris de voir la manière dont on travaille ici, et vraiment Vienne vit encore des splendeurs du passé. On y fait pas [sic] de clinique, mais de la théorie au sujet de malades dont l’examen clinique n’est que très sommaire. Il y a en général une ignorance absolue de la littérature française. Seul Bauer la connaît bien, et il se moque de ses collègues qui croient faire des découvertes alors qu’ils décrivent des phénomènes connus des vieux cliniciens français. C’est ainsi que Falticek a décrit à la dernière réunion de la Société de Médecine Interne un symptôme nouveau de la cirrhose : l’étoile vasculaire. Bauer l’a copieusement ramassé citant notamment vos travaux et ceux de vos élèves. Je crois cependant que parmi les jeunes on connaît plus la littérature française et cela indiscutablement sous l’influence de Bauer qui fait vraiment figure d’apôtre à ce sujet. » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 1 i]

 

Le bruit des bottes : la guerre d’Espagne

En reflétant les échanges scientifiques internationaux, la correspondance passive de Noël Fiessinger met également en exergue les tensions, les difficultés, voire les drames qui se jouent dans ces années 1930.

Contraints ou volontaires, les scientifiques des régimes dictatoriaux se devaient d’exprimer leur fidélité. Le docteur Luis Nájera, inspecteur provincial de santé de Cordoue, écrivait au professeur Fiessinger pour s’enquérir des démarches à effectuer pour devenir membre associé de la Société de pathologie géographique, afin d’y représenter l’Espagne. Pas n’importe quelle Espagne, à une époque où le gouvernement franquiste n’était pas reconnu en France, mais « la España Nacional ». Et il ajoutait, en haut à droite dans sa lettre : « !! Viva España !! !! Viva Franco !! » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 5 l].

Le 10 mars 1937, Gustave Roussy (1874-1948) écrivait depuis l’Institut du Cancer, à Villejuif, pour recommander à Noël Fiessinger un certain docteur Fernandez Cruz, contraint selon toute apparence de se réfugier en France :

« Permettez-moi de vous présenter et de vous recommander d’une façon toute particulière, le Docteur Fernandez Cruz, qui est le futur gendre de notre ami Maranon, de Madrid. M. Fernandez Cruz passe à Paris quelques mois pour des raisons que vous savez. Il voudrait pouvoir continuer certaines recherches en pathologie expérimentale. Pouvez-vous l’accueillir dans votre Laboratoire ? » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 5 k]

Il semble que l’union matrimoniale ne se fît pas, d’après l’arbre généalogique de Gregorio Marañón (1887-1960) [GÓMEZ DE OLEA Y BUSTINZA 2017]. Le pathologiste Gregorio Marañón lui-même, républicain, précédemment pourfendeur de la dictature de Primo de Rivera, mais aussi anticommuniste virulent, avait quitté l’Espagne dès juillet 1936 pour n’y rentrer qu’à l’automne 1942, dès lors récupéré par le régime de Franco.

 

Le bruit des bottes : le Troisième Reich

L’analyse des parcours ultérieurs des correspondants autrichiens, allemands ou tchécoslovaques de Noël Fiessinger offre un condensé des fractures engendrées par les lois raciales allemandes.

Les médecins juifs n’eurent d’autre choix que d’émigrer, quand ils le purent. Josef Faltitschek (1896-1978), si décrié par Jean Lederer, fut exclu de l’université de Vienne pour raisons raciales en mars 1938 ; il parvint à émigrer aux États-Unis d’Amérique en octobre 1938. Philipp R. Rezek (1894-1963) atteignit les États-Unis d’Amérique en 1938, avec sa femme et ses deux filles. Gustav Singer (1867-1944) émigra à Londres. Quoique de parents catholiques, la judéité d’un grand-père n’épargna pas à Bruno Oskar Pribram (1887-1962) les lois raciales : révoqué en 1933 de son poste hospitalier puis de sa chaire à Berlin, il fuit en Angleterre en février 1938 et, après avoir réussi à faire venir son fils, s’installa aux États-Unis d’Amérique. Julius Bauer (1887-1979) dut également fuir en 1938. Combattant sans relâche les usages politiques de la science et l’hygiène raciale nazie, il fut la cible de l’establishment médical allemand acquis au nouveau régime. Philipp Schwartz (1894-1977), destitué comme juif en 1933, suspecté d’être communiste, échappa de peu à l’arrestation ; il s’installa à Zurich puis à Istanbul où il tint la chaire de pathologie pendant près de vingt ans – et d’où il écrivait à Noël Fiessinger –, enfin aux États-Unis. Il fonda la Notgemeinschaft Deutscher Wissenschaftler im Ausland, une organisation destinée à accueillir en urgence les médecins et scientifiques juifs allemands et contribua ainsi au sauvetage de près de 1000 Juifs.

Le docteur tchèque Georges Syllaba, autrement écrit Jiří Syllaba (1902-1997), n’était pas juif, mais franc-maçon ; il fut détenu pendant la guerre dans le camp de concentration de Teresienstadt [RAMBOUSKOVÁ MARTYKÁNOVÁ 2023].

Certains médecins allemands furent attentistes, tel Robert Rössle (1876-1956) qui, pour n’avoir pas adhéré au NSDAP, put conserver son poste dès l’immédiat après-guerre.

D’autres, au contraire, prêtèrent une allégeance inconditionnelle au nouveau régime. Ce fut par exemple le cas Wilhelm Otto Stepp (1882-1964), antisémite actif à l’encontre de ses confrères juifs, propagandiste convaincu dès 1933, membre du NSDAP à partir du 1er mai 1937. Il échappa à toute poursuite et poursuivit sa carrière après la guerre. Hans Eppinger (1879-1946) fut moins heureux. Membre actif du NSDAP à partir de 1938, il participa à des expériences médicales sur des détenus rom Sinté détenus à Dachau. Il se suicida le 25 septembre 1946, avant l’ouverture du procès des médecins de Nuremberg où il devait comparaître.

Le Belge Jean Lederer (1910-2003) dans la lettre qu’il adressa à Noël Fiessinger en janvier 1937, depuis Vienne, décrivit ainsi la situation politique :

« En général dans les milieux universitaires il y a un mouvement d’opposition très nette à la culture allemande et surtout nazi, mais il ne faut évidemment pas oublier qu’une proportion respectable des professeurs n’est pas d’origine aryenne. Dans le peuple il y a peu d’enthousiasme pour le front patriotique autrichien, qui se démène cependant beaucoup. Les ouvriers sont ou bien socialistes ou bien nazis, mais ils ne l’affichent pas car ils sont fort surveillés.

En me rendant en Autriche, je me suis arrêté quelques jours à Nuremberg qui est encore une magnifique petite ville moyenâgeuse, mais j’ai pu m’y rendre compte que vraiment les Allemands sont en plein préparatif de guerre. Il y a là des usines d’avion qui travaillent à plein rendement. Toute la jeunesse est éduquée comme si la guerre était un devoir pour elle. D’ailleurs les Allemands ne s’en cachent pas et l’un d’eux m’a dit : « En 1914 nous n’étions pas suffisamment préparés, mais cette fois-ci on ne nous y reprendra plus. » » [BANM, Ms 1443 (2314) n° 1 i]

La fin de la guerre en Europe ne marqua pas la fin de tout conflit dans le monde. Leonid Doljanski (1898-1948), qui avait émigré de Russie en Palestine dès 1920, avant de poursuivre ses études en Allemagne et sa carrière en Europe, notamment au Danemark avant-guerre, mourut le 13 avril 1948 lors de l’attaque d’un convoi transportant des membres de l’université de Jérusalem (massacre du convoi pour l’hôpital Hadassah du mont Scopus).

Jérôme van Wijland

 

Sources archivistiques :

BANM, Ms 976 (1847) n° 1-3 dm [Noël Fiessinger.] Registres d’expériences sur les chiens, les lapins et les cobayes, souris, rats, humains (donneurs de sang), têtards. Manuscrit. 3 volumes de 237 feuillets chacun.

BANM, Ms 1443 (2314) n° 1-20 cm. Correspondance passive de Noël Fiessinger.

 

Bibliographie :

[DARTIGUES 1931] Dr Dartigues, « La leçon inaugurale du professeur Noël Fiessinger », Le Concours médical, 52-27-XII-31, p. 3955-3958.

[FIESSINGER Ch. 1900] Charles Fiessinger, « L’inaptitude médicale des femmes », La Médecine moderne, 11e année, n° 11, 7 février 1900, p. 81.

[FIESSINGER LEROY 1916] Noël Fiessinger, Edgar Leroy, « Contribution à l’étude d’une épidémie de dysenterie dans la Somme. Bulletins et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris, IIIe série, 32e année, vol. XL, séance du 8 décembre 1916, p. 2030-2069.

[FIESSINGER 1929] Noël Fiessinger, Exposé des titres et des travaux scientifiques, Paris, Masson et Cie, 1929.

[FIESSINGER 1931] Faculté de médecine de Paris. Chaire de pathologie expérimentale et comparée. Leçon inaugurale de M. le Professeur Noël Fiessinger. La Méthode comparative en pathologie. Paris, le 17 Novembre 1931, Paris, imprimerie A. Tournon, [1931].

[FIESSINGER 1940] Noël Fiessinger, Exposé des titres et travaux scientifiques. Addendum 1931-1940, s.l., s.n., [1940].

[GÓMEZ DE OLEA Y BUSTINZA 2017] Javier Gómez de Olea y Bustinza, « La genealogía del doctor Marañón, en el CXXX aniversario de su nacimiento », Real Academia Matritense de Heráldica y Genealogía (ARAMHG), XX, 2017, p. 269-336.

[GOUGEROT 1946] Henri Gougerot, « Notice nécrologique sur M. le professeur Noël Fiessinger (24 décembre 1881-15 janvier 1946) », Bulletin de l’Académie de médecine, 3e série, tome 130, 1946, séance du 26 février 1946, p. 128-133.

[HUGUET 1991] « Fiessinger Noël Armand », dans Françoise Huguet, Les professeurs de la Faculté de médecine de Paris. Dictionnaire biographique, 1794-1939, Paris, Institut national de recherche pédagogique, Éd. du C.N.R.S., 1991, p. 184-186.

[IGLESIAS-GAMMARA RESTREPO VALLE MATTESON 2005] Antonio Iglesias-Gammara, José Félix Restrepo, Rafael Valle et Eric L. Matteson, « A Brief History of Stoll-Brodie-Fiessinger-Leroy Syndrome (Reiter’s Syndrome) and Reactive Arthritis with a Translation of Reiter’s Original 1916 Article into English », Current Rheumatology Reviews, volume 1, 2005, p. 71-79.

[LAURENCE 1946] Gabriel Laurence, « Noël Fiessinger », Journal des Praticiens, 60e année, 30 janvier 1946, p. 17-18.

[RAMBOUSKOVÁ MARTYKÁNOVÁ 2023] Barbora Rambousková, Darina Martykánová, « Social Class in the Czech Physicians’ Quest for Professional Authority and Social Acknowledgement, 1830s–1930s », The Hungarian Historical Review, Volume 12, n° 3, 2023, p. 363–394.

[REITER 1916] Hans Reiter, « Ueber eine bisher unerkannte Spirochäteninfektion (Spirochaetosis arthritica) », Deutsche medizinische Wochenschrift, volume 42, n° 50, 14. Dezember 1916, p. 1535-1536.

[TESNIÈRE CANTAU 2014] Valérie Tesnière et Alina Cantau, « Les revues médicales depuis 1800 », Revue de Synthèse, vol. 135, 6e série, n° 2-3,‎ 2014, p. 203-219.

 

Pour citer cet article :

Jérôme van Wijland, « Noël Fiessinger et le Laboratoire de pathologie expérimentale et comparée au carrefour de la science internationale », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 6 juin 2025. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/ms-976-1847_ms-1443-2314.

 

 

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