Un recueil de lettres de médecins

La publication, dans Calames, du Ms 1428 (2299) et du Ms 1429 (2300), permet de présenter un ensemble de pièces autographes acquis lors de la même vente, scindé en deux séries de manuscrits afin de respecter la partition opérée par la société de vente ou, plus probablement, par le précédent propriétaire. Relativement hétérogène, cet ensemble se singularise par l’appartenance d’une partie des auteurs ou des destinataires au monde des arts et des lettres : le médecin et poète Pierre Osenat (1908-2007), le médecin et romancier André Soubiran (1910-1999), le libraire et fabuliste Pierre Béarn (1902-2004), le philosophe Marc Soriano (1918-1994), le journaliste et écrivain scientifique René Sudre (1880-1968), l’écrivain scientifique Marcel Roland (1879-1955), le journaliste Georges Montorgueil (1857-1934) ou encore le pianiste Marcel Ciampi (1891-1980).

 

Écrits du for privé : éloge, nostalgie, susceptibilité

L’ensemble comporte diverses lettres de remerciements et de félicitations à l’occasion de récentes publications ou de recensions élogieuses. Léon Binet (1891-1971), par exemple, lui-même auteur d’ouvrages de vulgarisation sur l’histoire naturelle, loue le talent de Marcel Roland, au gré de ses publications successives : Éros au jardin ou l’Amour chez les Insectes, 1933 ; La Féerie du microscope, 1937 ; La Grande leçon des petites bêtes, 1939. Louis Lapicque (1866-1952) lui, plus professoral, écrit depuis sa villégiature de Ploubazlanec, lors de la parution de La Féerie du microscope :

« Si je ne me trompe, vous n’avez pas utilisé l’ultra-microscope. Voulez-vous me permettre de vous signaler une « fête de nuit » qui vous plaira, ou je me trompe fort. Prenez quelques brins de spirogyre, n’importe quelle espèce, au mieux les espèces de taille moyenne. A l’ultra-microscope, sous les arceaux vert lumineux du chromatophore, vous verrez la danse de ce que j’ai appelé les « paillettes scintillantes ». En ce moment, on trouve les spirogyres partout, capricieusement, il est vrai, présentes un jour, absentes un autre ; le petit bassin Est de la Fontaine Médicis en offre souvent. Mais vous connaissez sûrement les spirogyres ; c’est leur illumination par l’ultra que, peut-être, je puis vous signaler. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 26]

Au début des années 1980, le professeur Jean Bernard (1907-2006) se remémore avec nostalgie sa fréquentation de la librairie La Maison des Amis des Livres d’Adrienne Monnier (1892-1955), s’excusant auprès de son destinataire Pierre Béarn de ne pas avoir fréquenté sa librairie, la librairie du Zodiaque :

« Il est bien vrai qu’allant presque tous les jours chez Adrienne Monnier je n’ai guère fréquenté d’autres librairies, même celles qui étaient toutes proches. Et depuis la mort d’Adrienne Monnier, ma vie est devenue si changée que j’ai la tristesse de ne plus aller chez le libraire. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 8]

« Je partage votre regret. Au temps lointain (très lointain) où je disposais d’un peu de temps, j’aurais aimé vous rendre visite parmi vos livres. Mais à l’époque de mon adolescence et de mon jeune âge, je ne connaissais qu’Adrienne Monnier. Après quoi je n’ai plus guère connu de temps libre. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 10]

La susceptibilité n’est pas absente de ces lettres, comme en témoigne la situation relatée par Louis Aublant (1890-1981) à André Soubiran, à l’occasion de la parution de sa biographie : Le baron Larrey chirurgien de Napoléon, chez Fayard, en 1967 :

« J’ai rencontré hier à l’Académie où, malgré son grand âge, il demeure très assidu, notre vieux maître le Médecin Général Rouvillois qui m’a paru très contrarié à la pensée que son attitude vis-à-vis de vous pouvait paraître indifférente ou discourtoise, alors que seul, son état de santé, devenu assez précaire depuis la fin de l’année dernière, avait pratiquement arrêté toutes ses possibilités épistolaires. » [BANM, Ms 1429 (2300) n° 1]

Lorsque le gastro-entérologue Jean Hannequin (1912-1997) remercie le même André Soubiran de l’avoir cité dans son article « Apprenez à déjouer les caprices de votre vésicule », paru dans Jours de France le 29 juin 1968, il corrige à raison la mauvaise orthographe de son nom et se rappelle un souvenir d’enfance douloureux :

« Une petite ombre entache ce tableau, c’est qu’on m’y nomme le Docteur Mannequin, alors que je me nomme Hannequin : il y a là une faute d’impression, qui me rappelle le sobriquet, dont j’ai été bien souvent nanti par les gamineries de collégiens de mes camarades de Lycée. » [BANM, Ms 1429 (2300) n° 12]

Louis Lapicque (1866-1952) tente de convaincre son destinataire de publier son opuscule sur Jules-Louis Breton (1872-1940) tout en minorant la portée des travaux scientifiques de son sujet :

« Il y a un an ou deux, j’avais écrit un opuscule sur Jules-Louis Breton ; c’était à la demande des fils, qui ensuite n’ont pas trouvé le moyen, jusqu’ici de le faire paraître. Vous conviendrait-il de le prendre dans votre collection ? J. L. Breton n’a pas été un très grand savant, mais ç’a été un bon scientifique, débutant comme préparateur de Schützenberger, finissant comme membre libre de l’Académie des Sciences, et toujours très-sincèrement occupé de science. D’autre part c’était une personnalité attachante, socialiste militant. J’ai, dans mon propos, développé ces deux derniers points de vue ; bref, cela répond assez bien, il me semble, à la conception assez particulière qui est la vôtre. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 27]

La susceptibilité peut rapidement glisser vers une attitude passive-agressive, comme on peut la déceler sous la plume de Marcel Sendrail (1900-1976), remerciant André Soubiran de l’envoi de sa biographie de Larrey. Après avoir reconnu ne pas l’avoir lue :

« Il y a dans votre gros livre matière à tant de réflexions que je ne veux pas attendre de l’avoir achevé, ni même sérieusement entamé, pour vous remercier de son envoi » [BANM, Ms 1429 (2300) n° 39]

Il prend soin de corriger un fait historique puis conclut :

« Mais l’Histoire a grand besoin, pour se vivifier, du talent des romanciers – et il en fallait beaucoup pour (sans rien dissimuler de ses travers) rendre attachante une figure aussi rébarbative que celle du “Baron”. » [BANM, Ms 1429 (2300) n° 39]

 

Un peu de politique

L’ensemble de manuscrits comporte des autographes de personnalités originales, par leur positionnement politique notamment, tels le médecin et chimiste Alfred Naquet (1834-1916) [PORTALEZ 2018] ou l’aliéniste Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909), qui incarnent deux tendances de la gauche radicale.

Le premier se renseigne en décembre 1872 sur le Crédit général et Viager, société en voie de formation, pour le compte de son compatriote et ami, Marius-Théodore Nicolas (1835-1899), ancien sous-préfet d’Apt et avocat à Orange, qui a été sollicité pour en prendre une direction départementale [BANM, Ms 1429 (2300) n° 27]. Le second aborde, dans des lettres d’avril et mai 1890, le débat sur la laïcisation des hôpitaux :

« Je vous envoie un exemplaire de mes trois dernières brochures sur la laïcisation et un volume intitulé : Notes sur l’ancien Hôtel-Dieu de Paris. Ce dernier volume est précédé d’une préface dans laquelle vous trouverez des renseignements de nature à vous aider dans la campagne en faveur de la laïcisation, en vous fournissant des éléments de réponse aux journaux réactionnaires. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 20]

« Je vous remercie surtout de votre chaleureux concours dans la lutte qui était engagée contre la laïcisation. // En ce qui concerne la lettre que j’ai reçue de M. le directeur de l’Éclair, j’hésitais à y répondre sachant d’avance que sa tentative n’aurait pas de résultats. Beaucoup de médecins qui ont signé pour les religieux, ne le feraient pas aujourd’hui ayant un personnel laïque dont ils sont satisfaits, surtout les chirurgiens ; mais ils ne le diront pas tout haut, ce qui serait désagréable pour eux et pourrait leur nuire au point de vue de la clientèle. Mon opinion est bien connue. Cependant j’avais commencé une lettre, que j’ai interrompue, car je m’étais embarqué dans un exposé qui serait peut-être trop long. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 21]

Le psychiatre Emmanuel Régis (1855-1918) revient auprès d’un destinataire intervenant dans le journal L’Éclair sur la question des régicides, qu’il considère comme des dégénérés :

« Venu à Paris pour assister au Congrès de médecine, il se trouve que le jour même de mon arrivée, a lieu un nouvel et très-retentissant régicide. Comme il est probable que vous parlerez à nouveau de cette question qui devient hélas ! de plus en plus d’actualité et de plus en plus grave au point de vue social, j’étais venu en causer avec vous, et puisque, à plusieurs reprises déjà, vous aviez bien voulu exposer mes idées sur le sujet et vous y associer, profiter de ma présence à Paris pour me mettre à votre disposition au cas où vous désireriez y revenir dans l’Éclair. » [BANM, Ms 1428 (2299) n° 28]

Malheureusement non datée, cette carte pourrait-elle faire référence à l’assassinat, à Lisbonne le 1er février 1908, du roi Charles Ier de Portugal (1863-1908) ?

 

Le travail du médecin

Concluons ce panorama par deux témoignages de ce que représente le travail du médecin. Depuis Genève où il dirige un laboratoire de bactériologie et de sérothérapie, l’atypique Léon Massol (1838-1909) [CRAMER 1977] écrit en avril 1905 à son ami Maurice Lacoste :

« Je suis seul pour accomplir une besogne formidable : cours, thèses, examens, service de la diphtérie, service de la rage, toutes les sérothérapies, c’est plus qu’un homme ne peut faire. J’ai bien sous mes ordres trois médecins assistants mais ils sont jeunes manquent d’expérience et d’autorité. Je suis obligé de surveiller et le plus souvent de recommencer ce qu’ils font. Décidément les jeunes ne valent pas les vieux ! » [BANM, Ms 1429 (2300) n° 24]

Enquête du journal Médecine de France, 1968 [BANM, Ms 1429 (2300) n° 7]

En plein « mai 68 », à l’occasion de son vingtième anniversaire, le journal Médecine de France lance auprès de ses abonnés une enquête qui s’articule autour de cinq questions que Jean-Robert Debray (1906-1980) présente comme primordiales pour discerner l’avenir de la profession médicale : I. L’enseignement et les sciences humaines ; II. L’enseignement, la recherche et la médecine ; III. L’ordinateur et la médecine ; IV. L’information du public ; V. Le prestige et la recherche. [BANM, Ms 1429 (2300) n° 7] Il est frappant de constater la pérennité de certaines de ces questions : le rôle que les sciences humaines doivent tenir dans la formation du médecin, la spécialisation précoce, la place de l’informatique, la communication auprès du public et la valeur de l’information, la soumission du financement de la recherche aux résultats.

Jérôme van Wijland

 

Références bibliographiques :

[CRAMER 1977] Marc Cramer, « Léon Massol, ingénieur et bactériologue », Gesnerus, Vol. 34, 1977, p. 203-206.

[PORTALEZ 2018] Christophe Portalez, Alfred Naquet et ses amis politiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pur.165101.

 

Liens vers les inventaires :

Ms 1428 (2299) n° 1-37

Ms 1429 (2300) n° 1-44

Pour citer ce billet :

Jérôme van Wijland, « Un recueil de lettres de médecins », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 26 juillet 2024. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/ms-1428-2299_1429-2300.

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