Les Mémoires constituent un sous-ensemble des archives organiques de l’Académie de médecine, allant des années 1820 aux années 1930 approximativement. Ils consistent en notes, articles, mémoires que des médecins, scientifiques ou particuliers soumettent à l’appréciation de l’Académie dans l’espoir d’en donner lecture en séance ou d’en voir reconnaître la pertinence scientifique. Les documents y sont classés par année, puis – à peu près – par ordre alphabétique.
Nous publions aujourd’hui l’inventaire des mémoires adressés à l’Académie entre 1830 et 1839, consistant en 565 dossiers au total, le plus souvent constitués d’une seule pièce, parfois plus étoffés. On ne cherchera ici qu’à donner une idée de la diversité et de la richesse de la matière traitée dans ce corpus médical.
On ne peut manquer d’être frappé par la profusion d’inventions thérapeutiques, sous forme de remèdes, de pharmacopées et d’appareils variés : on préconise l’usage de ventouses à la place des sangsues (1834 n° 46), on propose un procédé pour multiplier les sangsues (1835 n° 20) ; appareils fumigatoires, aiguilles pour la cataracte, mamelons artificiels voisinent avec des inventions aux noms à la fois bizarres et savants : le thermopode est « un nouvel appareil pour les bains de pieds » (1834 n° 18), l’ophtalmophantome est un appareil destiné à l’apprentissage de la chirurgie oculaire (1835 n° 2), le rigocéphale est un « appareil de réfrigération méthodique pour la tête » (1837 n° 7). L’érecto-mètre a pour fonction d’empêcher les pollutions nocturnes (1830 n° 16, 1831 n° 14). Un dossier spectaculaire nous est fourni par le docteur Clerc, qui en 1831 adresse au Ministère de l’Intérieur un projet d’académie de gymnastique, demandant un local et les moyens de réaliser divers appareils (1831 n° 48). C’est, comme il est d’usage à cette époque, vers l’Académie que le Ministère se tourne pour juger de la pertinence de ce projet. L’avis est favorable, apprend-on par les Archives générales de médecine :
« Le ministre de l’intérieur a demandé l’opinion de l’Académie sur un projet d’Académie gymnastique, imaginé par le docteur Clerc. M. Bricheteau, au nom d’une commission chargée de l’examen de ce projet expose que M. Clerc s’est proposé de soumettre, à l’aide de divers instrumens, les jeunes gens à des exercices propres, non seulement à développer leurs forces, mais à corriger les difformités qu’ils pourraient présenter. Parmi ces instrumens sont : divers balanciers destinés à mettre en jeu les muscles des membres supérieurs, inférieurs, de la colonne vertébrale, dans la vue de remédier aux déviations du rachis ; des chars destinés au même but ; divers instrumens comme cibles, tirs, sautiers, échelles, promenoirs, vaisseau, à l’aide desquels l’élève peut exercer plus spécialement tels ou tels muscles, telle ou telle partie, etc. La commission, autant qu’on peut juger de ces diverses machines par des dessins, les trouve pour la plupart nouvelles, heureusement imaginées, d’une exécution facile et peu dispendieuse, et propre non-seulement à faciliter le développement régulier du corps, mais à concourir à la guérison de certaines maladies. » (Archives générales de médecine, vol. 27, 1831, p. 555, « Académie royale de médecine, séance du 22 novembre 1831 »)
Si quelques documents évoquent des faits exceptionnels (cornes, fœtus pétrifiés), les thématiques abordées font dans l’ensemble ressortir les problèmes médicaux les plus courants de l’époque. L’obstétrique y est très présente, à travers la présentation d’instruments et de techniques, s’accompagnant parfois d’une polémique : en 1835, M. Bonhoure porte réclamation à propos d’un rapport fait le 18 octobre 1835 par M. Capuron, contestant ses conclusions quant à la méthode d’accouchement de fœtus postéro-versés. Les maladies et pathologies courantes, étudiées dans leurs symptômes, leur extension ou leur thérapeutique, occupent sans surprise une large part : les hernies, soignées notamment par divers types de bandages, les calculs avec les divers instruments de lithotritie demeurent présents durant toute cette décennie. Rage, morve, méningite, syphilis, variole, gale, teigne, tétanos, fièvre jaune, fièvre typhoïde font l’objet d’envois, mais c’est le choléra qui apparaît le plus souvent dans les préoccupations des médecins : il fait l’objet d’un Traité rationnel en 1835 (n° 15), mais le plus souvent est étudié localement, dans des régions proches comme à Saint-Dizier (1833 n° 27), ou lointaines, comme à La Nouvelle-Orléans en 1833 (n° 28), qui fait également l’objet d’un mémoire sur la fièvre « pernicieuse » (1838 n° 41) et sur la fièvre jaune (1838 n° 21). La fièvre jaune est aussi décrite à la Martinique (1839 n° 63), à La Havane (1838 n° 31), au Mexique (1837 n° 30), la dysenterie à l’île Maurice (1838 n° 14) ; les fièvres à Cayenne (1834 n° 49), la variole à l’Île-Bourbon, aujourd’hui La Réunion, (1834 n° 22). Plus généralement, le genre des topographies médicales est toujours bien représenté dans les années 1830, à des échelles variables : Cozes (Charente-Maritime) en 1834, Alger et Narbonne en 1835, Aix-les-Bains et la Corse en 1836, l’arrondissement de Blaye en 1837, Breteuil (Eure) en 1838.
Topographies et études épidémiologiques portent parfois sur un établissement sanitaire : l’hôpital Saint-Charles de Nancy (1838 n° 58), le bagne de Toulon (1833 n° 53), l’asile des aliénés de la Sarthe (1839 n° 22), les hôpitaux militaires de Compiègne (1836 n° 57) ou de Madrid (1833 n° 20), le lazaret de Marseille (1835 n° 12). En dehors même des épidémies, les mémoires documentent des établissements de santé : un riche dossier concerne Antoine Clot (dit « Clot-Bey ») et l’École de médecine d’Abou Zabel (1830 n° 13, 1832 n° 16, 1833 n°29-30), un mémoire présente et décrit l’organisation d’une ambulance dans la plaine de la Mitidja (Algérie).
Les Mémoires constituent aussi des sources pour les événements historiques contemporains, comme cette « Relation chirugicale de la prise de l’Ile et du Fort Martin-Garcia (rivière de la Plata), par J.-S. Roux, chirurgien-major de la corvette L’Expéditive », dont Dominique Larrey donne lecture lors de la séance du 14 janvier 1840. L’épisode s’inscrit dans le cadre du conflit entre le pouvoir royal français et le dirigeant de la Confédération argentine, le général Rosas, avec en arrière-plan la lutte pour obtenir des avantages sur l’axe commercial important que constitue le Rio de la Plata. Mécontent du traitement juridique contraignant appliqué aux résidents français par Rosas, le gouvernement français décide en mars 1838 le blocus de Buenos Aires. S’y appliquent pendant deux an et demi cinquante quatre bâtiments français, frégates, corvettes, brigantins, canonnières, goélettes et gabares, dont l’Expéditive, qui se trouve fin 1838 face au fort de l’Île Martín-García, avec 6 autres bâtiments. Une étude consacrée à ce conflit, fondée sur les Archives de la Marine et des colonies, évoque cette action qui apparaît comme « l’action la plus spectaculaire du conflit », et fait état de quatre tués et cinq blessés parmi les assaillants, douze tués et seize blessés parmi les défenseurs du fort (Avenel, 1998, p. 30). Le chirurgien-major Roux commence quant à lui ainsi sa « relation chirurgicale » :
« Le fort de l’île Martin-Garcia qui commande l’entrée des fleuves de l’Uruguai et du Panama fut attaqué le 11 8bre 1838, par la corvette l’Expéditive et la canonnière la Bordelaise. Pendant que ces deux bâtiments faisaient le feu le plus vif sur les batteries du fort, 250 marins détachés des divers navires du blocus de Buënos-Ayres et 150 nègres de la république de l’Uruguai, opéraient un débarquement et prenaient les canons ennemis au rebours. L’attaque fut si vigoureuse qu’après une heure de combat le fort amena son pavillon. Nous comptâmes huit morts et vingt trois blessés qui reçurent les premiers soins sur l’Expéditive et qui furent transportés ensuite dans l’île où je les logeai le moins mal qu’il me fut possible dans des raouchos, espèces de cases couvertes en chaume, dont les plus grandes ne pouvaient contenir plus de dix malades. » (1839 n° 52).
Le travail de signalement des mémoires se poursuivra dans les prochains mois et fera l’objet d’autres billets.
François Léger
Références bibliographiques :
Jean-David Avenel, L’affaire du Rio de la Plata (1838-1852), Paris, Economica, 1998 (Campagnes et stratégies, 26)
Pour citer ce billet :
François Léger, « Mémoires – III. Les années 1830 », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 7 avril 2023. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/memoires-183x.