La collection Chevassu (III)

La Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine publie aujourd’hui dans le catalogue collectif Calames le volume VI de la série médecine, de la collection de Maurice Chevassu, après les volumes I, III, et V. Il comprend des documents portant sur 41 personnalités classées par date de naissance, de Jules Dejerine (1849-1917) à Daniel Témoin (1861-1943).

Les médecins représentés sont des contemporains du chirurgien-collectionneur Maurice Chevassu (1877-1957), souvent des connaissances directes, et c’est pourquoi les documents ont souvent un caractère plus personnel que dans les premiers volumes de la collection. L’iconographie, et en particulier les portraits de médecins, occupent toujours une large place dans la collection : on ne s’étonnera pas de trouver pas moins de 20 photographies du beau-père de Maurice Chevassu, Marcel Lermoyez, l’un des principaux pourvoyeurs de documents pour ce volume.

La Première Guerre mondiale apparaît plus fréquemment dans cette iconographie, avec des portraits de Charles Richet (9b), d’Édouard Quénu (17 c), ou encore de Paul Chavasse (11 a). La guerre se lit aussi dans les lettres. Dans l’une d’entre elles, datée de 1917, Joseph Grasset (1849-1918) se félicite de la protection accordée par Maurice Chevassu à son fils : « il m’est très agréable de le savoir sous votre haute direction et vous prie [sic] de me tenir très franchement au courant s’il lui arrivait quelque accident, blessure ou maladies… » (n° 4 c). D’un registre plus médical et scientifique relève cette lettre de 1916, dans laquelle Édouard Quénu exprime son désaccord à propos d’une communication faite par le Dr Chevassu, à la Société de chirurgie, sur les plaies de l’abdomen :

« Je vous aime beaucoup, mais j’aime encore mieux la vérité ; il m’a semblé que vous défendez une mauvaise thèse avec des documents incomplets et mal interprétés, il était de mon devoir de le dire et je l’ai dit. Vous vous attendez me dites-vous à l’accueil fait à vos observations c’est donc que vous aviez conscience de leur insuffisance démonstrative. » (n° 17 e)

Parmi les autres pièces relevant de la médecine, on peut citer, pour illustrer la variété des pièces, un compte rendu d’opération d’un prolapsus urétral et des notes d’expérience sur le lapin par Joaquín Albarrán (1860-1912) (n° 42 h et n° 43 b), ou encore une évocation par Marcel Lermoyez (1858-1929) d’une épidémie de choléra en 1883 (n° 30 b).

Mais le recueil est surtout, comme les précédents, un révélateur de relations sociales au sein du milieu médical. Et la proximité des personnages concernés avec le collectionneur donne lieu à des messages plus personnels. À côté des billets de courtoisie, remerciements ou félicitations, certaines pièces ouvrent des portes sur les conflits et amitiés qui font l’intimité des médecins parmi lesquels Chevassu évolue. L’enjeu des postes est bien sûr au premier plan. On pourra s’amuser des excuses empressées auprès de Léon Labbé du père d’Eugène Doyen (n° 36 l) lequel, commente Chevassu au crayon, « après avoir demandé une place d’interne à Léon Labbé pour sa 3e année, avait manifesté l’intention de ne pas l’occuper. » Le jeune homme se reprend toutefois, et son père rassuré peut faire part à Labbé de son soulagement : « Je ne sais vraiment quelle aberration morale ou quels pernicieux conseils ont pu aveugler un garçon aussi sérieux d’habitude. » Deux lettres adressées par Édouard Brissaud à son patron Farabeuf donnent un aperçu sur les circonstances de l’élection pour la place de professeur de pathologie interne en 1897, que convoite Brissaud. Celui-ci reproche sur un ton amical à son patron de s’apprêter à donner sa voix à son concurrent Hutinel, et conclut sa lettre par la liste complète de ses partisans.

« Mais il faut que je vide mon sac. Vous m’avez dit que c’était de ma faute et que c’était bien fait pour moi, parce que je ne m’y étais pas pris à temps, etc., etc. Ça, mon cher patron, c’est inadmissible, attendu que si faute il y a, le châtiment est par trop disproportionné avec cette faute. Vous êtes un bourru bienfaisant, dit-on, mais bien plus bienfaisant que bourru, et vous ne voulez pas la mort du pécheur. »

La lettre est annotée par Farabeuf, qui donne les raisons de son choix, à savoir le respect d’engagements passés.

Les sujets abordés sont variés et, parmi la correspondance conservée, on mentionnera ici une lettre de Charles Richet demandant la signature d’une lettre de protestation contre la déportation par Miguel Primo de Rivera de l’écrivain Miguel de Unamuno, professeur de l’Université de Salamanque (n° 9 i), le courrier consterné de Maurice Patel, chargé d’identifier le corps de Jaboulay (n° 46 d), mort dans un accident de train ou, plus légèrement, au détour d’un message d’amitié, les considérations d’un correspondant sur les qualités improbables de l’épouse idéale (n° 40 e).

 

L’inventaire détaillé de la collection Chevassu se poursuivra au cours des prochains mois.

François Léger

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