Les prix de l’Académie – V. Le prix Sabatier (1912-1980)

Au cours de son histoire, l’Académie de médecine a décerné de nombreux prix, fondés le plus souvent à la suite des dispositions testamentaires de médecins fortunés ou de philanthropes. La Bibliothèque conserve une grande partie des mémoires ayant concouru à ces prix. Plusieurs billets vous inviteront, à travers l’exploration d’un prix dans son ensemble ou d’un mémoire particulier, à en découvrir toute la richesse et la diversité.

 

Le legs

Le 30 janvier 1890 à Marseille où il réside, Léon Henri Sabatier, docteur en médecine et plus précisément médecin aide-major de 2e classe, rédige son testament.

Ses premières dispositions sont destinées à assurer la sécurité financière de sa mère si elle venait à lui survivre, ainsi que celle de son oncle Étienne Sabatier de Bras près Saint-Maximin, par le truchement d’une pension viagère.
Les quatre enfants de son défunt ami, le tonnelier Bouteille, doivent toucher 4000 francs et leur mère la propriété du tombeau de famille et le mobilier (couverts en argent, montre, bijoux, linge), mais un codicille en date du 15 mai 1890 vient annuler ces libéralités.
Le savoir, il le destine à son ami le docteur Rouquette : « Je lègue à mon ami le Docteur Rouquette, demeurant à Marseille rue de la République n° 33, pour l’acquisition d’un tableau ou objet d’art quelconque à son choix, en souvenir, mille francs (1000 fcs). Au même Docteur Rouquette, tous les livres de ma bibliothèque et mes instruments de médecine et de chirurgie, en le priant d’y choisir tout ce qu’il lui plaira de garder, et de donner le reste à la Bibliothèque et à l’arsenal de chirurgie du Comité médical des Bouches-du-Rhône. »
Le reste de sa fortune, il la destine à des institutions médicales et charitables. Des sommes de mille francs sont destinées respectivement au Comité médical des Bouches-du-Rhône, à l’Association des médecins des Bouches-du-Rhône, à l’Œuvre de la Bouchée de pain, à l’Asile pour les hommes (asile de nuit), à l’Asile pour les femmes (asile de nuit), aux Enfants moralement abandonnés et aux Enfants trouvés.
« Enfin je lègue, écrit-il, à l’Académie de médecine de Paris la somme de dix-mille francs (10000 fcs) nette de tous droits, pour, avec le revenu, fonder un prix bi-annuel en mon nom et comme elle l’entendra. »
L’Administration des hospices de Marseille, quant à elle, est instituée légataire universelle.

Lors de sa séance du 18 décembre 1906, le conseil d’administration de l’Académie de médecine accepte le legs du docteur Sabatier, décédé à Marseille le 31 octobre 1904. L’acceptation du legs par l’Académie est autorisée par décret du 19 février 1908 mais ce n’est qu’en septembre 1910 que l’Académie peut enfin s’apprêter à recueillir le legs, le règlement de la succession ayant été retardé par un procès entre les Hospices de Marseille et les héritiers de M. Sabatier.

 

Le prix

Le testateur ayant laissé à l’Académie le libre choix du prix à attribuer, celle-ci choisit de lui conserver un caractère général : « Ce prix sera décerné à l’auteur du meilleur travail manuscrit ou imprimé sur n’importe quelle branche des sciences médicales. » L’anonymat est facultatif, ce qui autorise, concrètement, la soumission d’ouvrages imprimés comme de mémoires manuscrits. Le partage en est interdit.
Le prix est biennal, comme prévu par le testateur. De sa création en 1912 à 1944, sa dotation est de 600 francs. Elle passe à 660 francs en 1946 et 1948, puis à 750 francs entre 1950 et 1966, ramenés alors à 7,50 francs nouveaux. Les arrérages sont probablement insuffisants et, en 1968, le prix est décerné à titre honorifique, avant que la dotation ne prenne, à compter de 1970, la forme d’une simple médaille. Le dernier prix est décerné en 1980, date à laquelle les derniers titres d’un emprunt contracté en 1950 sont amortis, ce qui provoque de facto la disparition du prix.

 

Les lauréats

Avant la Deuxième Guerre mondiale, et même en comptabilisant l’année 1916 qui ne donne finalement pas lieu à attribution du prix, le nombre de candidats paraît assez important, avec une moyenne approchant les 10 candidatures par année, un minimum de 4 (pour 1916) et un maximum de 15 (pour 1914 et 1924).
51 personnes différentes se partagent les 34 prix (attribués à 36 candidats), 3 mentions très honorables (3 candidats) et 12 mentions honorables (14 candidats). Achille Urbain obtient le prix deux fois, en 1928 et 1932, et Aimé Mouchet obtient respectivement en 1924 et en 1926 une mention très honorable et une mention honorable. Le prix, conformément aux conditions d’attribution, n’est pas partagé, sauf lorsqu’il y a deux auteurs.
Reflet du prestige de l’Académie et sans doute aussi de son caractère très général, le prix attire des candidats, Français ou non, exerçant à l’étranger, comme en attestent leurs villes d’exercice : Alexandrie, Bruxelles, Bucarest, Shanghai, Constantinople, Genève et Montréal.
Enfin, les thématiques abordées par les différents candidats sont diverses, voire hétéroclites, comme y invite l’intitulé très ouvert du prix.

Tableau des lauréats du prix Sabatier (1912-1980)

Les lauréats sont parfois célèbres ou appelés à le devenir. On y trouve par exemple, lauréat en 1928 et 1932, le vétérinaire pasteurien Achille Urbain (1884-1957), co-fondateur et premier directeur du Parc zoologique de Paris (le « zoo de Vincennes ») de 1934 à 1946, et directeur du Muséum national d’histoire naturelle de 1942 à 1949.
On y rencontre aussi Georges Fully (1926-1973), lauréat en 1956 avec sa thèse sur L’identification des squelettes des déportés morts dans les camps de concentration allemands. Jeune résistant déporté de Compiègne à Dachau par le convoi du 2 juillet 1944 surnommé le « Train de la mort », il devient par la suite spécialiste de médecine légale et criminelle, réformateur et médecin-inspecteur général de l’administration pénitentiaire, mais meurt assassiné par l’explosion d’un colis piégé à son domicile parisien du quai des Grands-Augustins, sans doute pour n’avoir pas cédé à une demande de grâce médicale en faveur d’une figure du milieu marseillais.

En 1944, c’est un certain Charles Rogué qui remporte le prix. Cet industriel qui joue un rôle actif au sein des associations aéronautiques, telle l’Union des Pilotes Civils de France, se targue d’être, avec le docteur Ber, l’inventeur du poumon artificiel français, auquel la presse a donné une large couverture en décembre 1938 et dans les mois qui ont suivi. Il convient probablement de voir dans son collaborateur le docteur Kelman Ber (1890-1971), Juif polonais émigré en France, conseiller municipal communiste de Bagneux qui exerça aussi les professions de maroquinier et de marchand de cadres et de fournitures pour artistes peintres.

La guérison de la petite Jacqueline Kremer (1923-2000), atteinte de poliomyélite aiguë, en février 1939, grâce au « poumon d’acier », suscite les remerciements de la famille, de la directrice du lycée Sophie Germain où elle est scolarisée ainsi que de ses camarades de classe. Le récit de cette guérison fait l’objet d’un article de quatre pages dans Match :

« Le soir pluvieux du 10 février, Jacqueline Kremer, qui a 15 ans et demi, est rentrée avec la fièvre de l’école Sophie-Germain. Dans l’arrière-boutique de la teinturerie tenue par son père, rue Compans, on l’a couchée. Elle a contracté la rougeole. Mais, bientôt, son cas s’aggrave. Un virus dont on ignore l’origine a provoqué une grave infection et gagné le bulbe. Les centres nerveux sont attaqués. La paralysie gagne les membres inférieurs. Le docteur Jean Debray, le jeune médecin qui la soigne, fait appel aux sommités médicales qui déclarent le cas sans espoir ; pourtant, sachant qu’un inventeur français travaille à la réalisation du premier poumon artificiel transportable, il décide de tenter l’expérience. L’appareil consiste en une carcasse où une machine pneumatique raréfie l’air : le thorax du malade enfermé dans l’appareil jusqu’à la base du cou se dilate alors sous la pression de l’air extérieur appelé dans ses poumons. La machine pneumatique fonctionnant en sens inverse va contracter le thorax et chasser l’air absorbé. L’appareil respire pour le malade. »

Le reportage photographique fait la part belle à l’invention, « cette mystérieuse machine qui fait vivre les morts » (p. 26-27), à la famille Kremer ainsi qu’à la solidarité du voisinage.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, cette histoire attise le chauvinisme de la France collaboratrice. Le très collaborateur Journal des débats politiques et littéraires la reprend en juin 1943 pour vanter une invention « française » ! Deux ans et demi auparavant, le futur chroniqueur culinaire du Monde Robert Jullien-Courtine lui attribuait les mêmes vertus pour laisser libre cours à sa haine antisémite, dans un article intitulé « L’escroquerie du poumon d’acier », paru dans La France au travail.
De 1939 à 1950, Charles André Rogué (ou la Société pour l’exploitation des brevets et procédés Charles Rogué) dépose pas moins de 24 brevets pour des appareils d’application le plus souvent médicale : appareil destiné à provoquer artificiellement les mouvements respiratoires, brancard, spiromètre, artériotensiomètre, appareil médical, destiné notamment à reproduire graphiquement les déformations de la colonne vertébrale, rhinomètre, conformateur anatomique, brosse à dents, table d’emmaillottement ou encore procédé pour le contrôle permanent de l’ambiance thermique chez les jeunes enfants et appareillage mettant en œuvre ce procédé, pour n’en citer que quelques-uns.

En 1944, ce sont trois instruments qu’il soumet à l’appréciation de l’Académie de médecine : le Pneumosphygmographe, qui permet l’enregistrement synchronisé de la respiration et des pulsations, avant, pendant et après un effort, et le contrôle du débit respiratoire et des réactions cardio-vasculaires ; le rachigraphe, qui permet l’enregistrement des déviations de la colonne vertébrale dans le plan sagittal et dans le plan frontal ; enfin le spiromètre pour le contrôle et l’entraînement respiratoire.

Jérôme van Wijland

 

Références bibliographiques sur le poumon artificiel de Rogué et Ber :

Le Petit Journal, 20 décembre 1938, 75e année, n° 27729, p. 5

Travaux nord-africains, Bâtiment, Travaux publics, Architecture, Urbanisme, 24 décembre 1938, 31e année, n° 1786, p. 1

« Un miracle à Paris. Une enfant des Buttes-Chaumont est sauvée par un poumon d’acier », Match, nouvelle série, n° 35, 2 mars 1939, p. 24-27

Excelsior, 11 juin 1939, 30e année, n° 10404, p. 5

Robert Jullien-Courtine, « L’escroquerie du poumon d’acier », La France au travail, 29 novembre 1940, 1ère année, n° 153, p. 1.

Journal des débats politiques et littéraires, 26-27 juin 1943, 155e année, n° 1061, p. 2

https://maitron.fr/spip.php?article99217, notice BER Kelman par Claude Pennetier, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 10 avril 2016.

 

Pour citer cet article :

Jérôme van Wijland, « Les prix de l’Académie – V. Le prix Sabatier (1912-1980) », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 20 juillet 2021. Disponible à l’adresse : http://bibliotheque.academie-medecine.fr/prix-sabatier/.

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