Maladie et mort de Maurice Ravel

La séance de l’Académie nationale de médecine du mardi 12 décembre 2017, organisée par le neurologue – et organiste, pendant trente ans, de l’église Saint-Pierre de Caen – Bernard Lechevalier, prévoit de revenir sur « la maladie de Maurice Ravel » à travers les lectures et les interprétations qu’en ont donné ses médecins.

Il y a quatre-vingts ans en effet, le 28 décembre 1937, décédait le compositeur Maurice Ravel des suites de l’opération au cerveau pratiquée par le neurochirurgien Clovis Vincent (1879-1947). Dès l’accident de voiture (souvent appelé accident de taxi) dont il fut victime en 1932, et sans doute bien avant, Maurice Ravel souffrait de troubles neurologiques sévères qui avaient fini par le rendre incapable de composer et de jouer de la musique.
Maurice Ravel & Lily Laskine 1935

En février 1936, il confiait sa santé au neurologue Théophile Alajouanine (1890-1980) et au psychiatre Henri Baruk (1897-1999). Les deux médecins conduisirent sur trois séances leur observation médicale en l’accompagnant d’une série de tests musicaux : reconnaissance des airs musicaux, reconnaissance des notes, lecture des notes, exécution au piano, dictée musicale, écriture musicale, étude des gammes. Menées sur une feuille de musique à portée, les tentatives d’écriture de notes, de son propre nom ou encore d’une clef de sol ne sont pas sans dégager une forte charge émotive.

La générosité de Georgette Signoret, veuve du Professeur Jean-Louis Signoret, qui les tenait de son maître Théophile Alajouanine, vaut à la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine de conserver ces documents depuis juin 2014.

Billet_2017_Ravel_Partition

Théophile Alajouanine aborda le cas Ravel à plusieurs reprises dans ses aspects scientifiques, notamment en 1948 dans la revue Brain ou encore dans son ouvrage L’aphasie et le langage pathologique (1968).

Henri Baruk lui, l’évoqua dans ses mémoires :

« J’ai eu à m’occuper aussi d’un très grand musicien, l’un des plus célèbres de notre siècle. Il présentait une amusie typique sans aucune trace d’aphasie ou de trouble de la personnalité.

Elle s’est déclarée alors qu’il était en train d’écrire un concerto. Brusquement sa main s’est arrêtée de tracer des notes. Celles-ci ne correspondaient plus à rien pour son esprit. Il s’est mis au piano : impossible de jouer, alors qu’il était un extraordinaire virtuose.

Il va d’abord consulter le professeur Alajouanine qui prend contact avec moi parce qu’il sait que je suis musicien. Je reçois cet auteur célèbre, assez ému en raison de l’admiration que je nourris pour lui. Je suis d’autant plus touché que ce patient se révèle comme un homme exquis, à l’esprit très fin, à la délicatesse extrême, que la maladie n’a nullement privé de ses immenses qualités humaines. Il juge et sent les hommes et les choses avec un instinct que j’admire.Billet_2017_Ravel_Baruk
Nous nous installons au piano et c’est lui qui me demande de jouer l’une de ses œuvres. Je fais le difficile ou plutôt le modeste et l’on comprendra pourquoi : le morceau n’est pas facile et je ne me sens pas capable d’en respecter l’esprit pas plus que la forme. Il insiste et je me jette à l’eau. À chaque faute – et Dieu sait si elles abondent – et même à chaque erreur de style ou de nuance il m’arrête. Certes il y a devant nous des partitions mais c’est l’oreille qui le guide.
J’avoue n’avoir pas réussi à rendre à ce compositeur dont la gloire n’a fait que grandir depuis sa mort, le talent et même le génie qui l’habitaient. Avec le professeur Alajouanine nous l’avons perdu de vue. Peut-être n’a-t-il pas eu la patience de nous  écouter. Peut-être ne pouvions-nous rien pour lui d’ailleurs. Toujours est-il qu’il est allé consulter un célèbre neurochirurgien. Celui-ci a tenté une opération exploratoire sur le cerveau pour déterminer la zone qui était lésée. L’auteur de tant de chefs-d’œuvre est mort des suites de l’opération. » (Baruk, Henri, Des hommes comme nous. Mémoires d’un neuropsychiatre, p. 25-26)

Jérôme van Wijland

Manifestation :

Séance de l’Académie nationale de médecine, mardi 12 décembre 2017 à 14h30
« De la maladie de Maurice Ravel à Théophile Alajouanine en passant par Jean-Louis Signoret »
Organisateur : Bernard Lechevalier

Références bibliographiques :

Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Ms 930 (1801), dossier sur la maladie de Maurice Ravel.

Alajouanine, Théophile, « Aphasia and Artistic Realization », Brain, Volume 71, Issue 3, 1 September 1948, p. 229–241.

Alajouanine, Théophile, L’aphasie et le langage pathologique, Paris, J.-B. Baillière & fils, 1968.

Baruk, Henri, Des hommes comme nous : mémoires d’un neuropsychiatre, Paris, Robert Laffont, Opera Mundi, 1976 (Collection Vécu).

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