Louis Boulanger, peintre rêveur

Sous le commissariat de Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey et d’Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans, la Maison de Victor Hugo propose, dans la série des expositions monographiques consacrées aux peintres liés à Victor Hugo, après François Auguste Biard, peintre voyageur, en 2020, un Louis Boulanger, peintre rêveur, pour lequel aucune rétrospective n’avait plus été organisée depuis celle du musée des Beaux-Arts de Dijon, en 1970.

Comme son ami d’enfance Eugène Devéria, Louis Boulanger est formé à l’école des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Guillaume Guillon Lethière, mais également fortement influencé par Achille Devéria.
C’est chez les frères Devéria, vers 1824, qu’il fait la connaissance de Victor Hugo, avec qui il se lie d’une profonde amitié.
Au Salon de 1827, Louis Boulanger livre le Supplice de Mazeppa (musée des Beaux-Arts de Rouen), adaptant le poème de Lord Byron (1819) – que Victor Hugo reprendra à son tour dans Les Orientales (1829). Cette peinture de grand format semble illustrer, aux côtés de La Naissance d’Henri IV d’Eugène Devéria exposée au même Salon, les idées romantiques théorisées par Victor Hugo dans sa préface de Cromwell (1827) : « le but de l’art est presque divin : ressusciter, s’il fait de l’histoire ; créer, s’il fait de la poésie. » (p. XL).

Louis Boulanger et Victor Hugo traversent la période romantique de concert, le peintre s’appropriant tout particulièrement, après Achille Devéria – aidé de son beau-père l’imprimeur lithographe Charles Motte –, le médium lithographique aux noirs intenses, et illustrant l’œuvre poétique et romanesque de son ami.

« (…) Parmi les rayons bleus, parmi les rouges flammes,
Avec des cris, des chants, des soupirs, des abois,
Voilà que de partout, des eaux, des monts, des bois,
Les larves, les dragons, les vampires, les gnômes,
Des monstres dont l’enfer rêve seul les fantômes,
La sorcière, échappée aux sépulcres déserts,
Volant sur le bouleau qui siffle dans les airs,
Les nécromans, parés de tiares mystiques
Où brillent flamboyans les mots cabalistiques,
Et les graves démons, et les lutins rusés,
Tous, par les toits rompus, par les portails brisés,
Par les vitraux détruits que mille éclairs sillonnent,
Entrent dans le vieux cloître où leurs flots tourbillonnent !
Debout au milieu d’eux, leur prince Lucifer
Cache un front de taureau sous la mitre de fer ;
La chasuble a voilé son aile diaphane,
Et sur l’autel croulant il pose un pied profane. (…) »
(Victor Hugo, Odes et Ballades, 4e édition, t. II, Paris, Hector Bossange, 1828, Ballade quatorzième : Ronde du Sabbat, p. 438)

Il s’affirme aussi comme un grand portraitiste, comme en témoignent par exemple le portrait d’un chanoine espagnol (1827), ou ceux de Victor Hugo et des membres de sa famille (Mme Hugo, Léopoldine, Adèle). Au Salon de 1837, après le rejet de deux sujets, il expose pas moins de cinq portraits, conçus comme une même série : Achille Devéria, au visage crépusculaire, tenant dans sa main une médaille, Antoine Fontaney, le baron de Billing, Honoré de Balzac, en froc de chartreux, et le chirurgien Antoine Joseph Jobert de Lamballe, portrait frontal où s’exprime le romantisme mélancolique de l’artiste – et que la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine s’honore d’avoir pu prêter à cette occasion, après restauration. Antoine Fontaney, qui posait pour Boulanger, avant de mourir en juin 1837, rappelle dans son Journal intime les propos sombres de son ami :

« Je mourrai sans avoir rien pu faire de ce que j’ai rêvé. Tant de choses ont passé dans les rêveries dorées, que j’aurais voulu faire, mais la vie ! (…) Il y a tant de belles choses que je sens et que je ne saurais faire, des choses d’admirable poésie et qui me sont défendues. »


L’exposition ne manque pas de rappeler le rôle central joué par le baron Taylor, sitôt nommé, en 1825, commissaire royal près du Théâtre français, pour y imposer le drame romantique, et tout autant, ses costumes. Concevant les modèles des costumes dans leur ensemble dès 1827, Louis Boulanger s’illustre notamment avec ceux réalisés pour les pièces de Victor Hugo (Hernani, Marion de Lorme, Le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Angelo, tyran de Padoue, Ruy Blas, Les Burgraves) et d’Alexandre Dumas (Christine, Charles VII chez ses grands vassaux, Caligula).

L’influence de la peinture espagnole, et du Voyage pittoresque en Espagne, en Portugal et sur la côte d’Afrique, de Tanger à Tétouan, publié par le baron Taylor entre 1826 et 1832, se ressent dans les sujets espagnols choisis très tôt par Boulanger comme dans les costumes conçus pour Hernani. En 1846, en compagnie des Dumas, père et fils, d’Auguste Maquet, d’Eugène Giraud, et d’autres, il entreprend enfin le voyage d’Espagne.
Les dernières années de sa vie, de sa nomination en 1860 jusqu’à sa mort en 1867, sont occupées par la direction de l’école des Beaux-Arts et du musée de Dijon.

Jérôme van Wijland

 

Informations pratiques :

Exposition « Louis Boulanger, peintre rêveur », Paris, Maison de Victor Hugo, 10 novembre 2022 – 5 mars 2023

 

Références bibliographiques :

Gérard Audinet et Olivia Voisin (dir.), Louis Boulanger, peintre rêveur, Paris, Maison de Victor Hugo, Paris-Musées, 2022

Olivia Voisin, « Boulanger, Louis », Cat. 15, dans Jérôme van Wijland (dir.), Jérôme Farigoule (collab.), Dominique Lobstein (collab.), Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et des sculptures, Gand, éditions Snoeck, 2020, p. 128-132

Louis Boulanger. Peintre-graveur de l’époque romantique, 1806-1867 [exposition, Dijon, Musée des Beaux-Arts, Palais des États de Bourgogne], Dijon, Musée des Beaux-Arts, 1970

 

Pour citer ce billet :

Jérôme van Wijland, « Louis Boulanger, peintre rêveur », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 16 décembre 2022. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/louis-boulanger.

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