Les Delamare et leurs dictionnaires

« Une petite pièce bleue au sommet d’une villa bretonne : le « studio » de la maison des Delamare à St-Quay-Portrieux où trois générations d’anciens internes des hôpitaux de Paris se sont succédées pour écrire le Dictionnaire des termes (techniques) de médecine Garnier-Delamare ».
Ces lignes signées de Jacques Delamare sont là pour nous rappeler que l’histoire plus que centenaire de ce dictionnaire, qui a fini par prendre pour titre le nom de ses auteurs, est largement celle d’une transmission familiale.

Dans un texte dactylographié de 92 pages, cédé à la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine par sa veuve madame Lise Delamare en même temps que la collection complète des Dictionnaires Garnier Delamare, Jacques Delamare raconte les débuts de l’ouvrage, dont la première édition, publiée par Maloine en 1900, est l’œuvre de deux internes de l’hôpital Broussais, Marcel Garnier et Valéry Delamare. Marcel Garnier a également collaboré activement au « Littré-Gilbert » (c’était auparavant le « Nysten-Littré », puis le « Littré-Robin »), dont il refond la 21e et dernière édition en 1908 (É. Littré, Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, et des sciences qui s’y rapportent, 21e édition entièrement refondue par A. Gilbert, Paris, Librairie J.-B. Baillière et fils, 1908).


Les deux médecins travaillent ensemble à la révision des 12 premières éditions, jusqu’à la mort de Garnier en 1940. Valéry Delamare s’éteint en 1944, peu après la parution de la 13e édition (1941). C’est alors son fils Jean, associé dès la 12e édition de 1935, qui reprend la mise à jour du dictionnaire jusqu’à sa mort en 1986. Il le fait en collaboration avec sa femme Thérèse, ancienne externe des hôpitaux. Leur fils Jacques Delamare poursuit l’œuvre jusqu’à la 31e édition, en 2012. Il est décédé en 2018, mais une 32e édition a paru en 2017, revue par le docteur Philippe Casassus. Ont également été associés à la partie chimie-physique le frère de Jacques Delamare, François, enseignant à l’École des Mines, et son fils, Laurent, ingénieur chimiste.

Sous des appellations qui ont varié légèrement au cours du temps, le dictionnaire « Garnier-Delamare » a donc connu 32 éditions en 117 années, des traductions en espagnol, brésilien, italien, des adaptations (par exemple le Dictionnaire Maloine de l’infirmière, 1e édition en 1994). Il a suscité des concurrents et même des procès. Son succès, attesté par ses constantes rééditions, a même pu déborder le milieu médical. L’Académie française décerne en 1932 une récompense à sa 10e édition, et Jacques Delamare signale une thèse de linguistique soutenue en 1976 en Sorbonne par Youssef Ghazi avec pour titre « Recherches sur les mouvements du vocabulaire médical au XXe siècle, d’après les rééditions du Dictionnaire des termes techniques de médecine de Garnier et Delamare ».

De fait, rassemblée dans la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, enrichie par le précieux commentaire de Jacques Delamare (outre des informations sur les éditions successives et des données biographiques, on y trouvera une consistante bibliographie relative aux dictionnaires de médecine), la collection des « Garnier-Delamare » est devenue une source pour l’histoire de l’édition, pour l’histoire de la médecine, pour la lexicologie et l’épistémologie médicales.

François Léger

Référence citée :

Jacques Delamare, Les Delamare et leurs dictionnaires. Un siècle au service du langage médical, texte dactylographié, 1992, 92 p. Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Ms 1198(2069).

Tagués avec : ,