La publication dans Calames, de l’inventaire détaillé des Mémoires adressés à l’Académie de médecine en 1861, nous offre l’occasion de redécouvrir la carrière et les centres d’intérêt d’un grand violoniste du XIXe siècle.
Né à Louvain en 1802, Charles de Bériot se fait remarquer dès l’enfance par sa précocité au violon. Après des études à Paris puis à Louvain, il revient à Paris en 1821 où il obtient ses premiers succès dans les salons puis, dès 1822, dans des concerts publics, s’imposant rapidement comme un violoniste virtuose.
Avec son ami le harpiste Théodore Labarre (1805-1870), ils composent et jouent des morceaux concertants pour harpe et violon sur des thèmes d’opéras de Rossini et effectuent dès 1824 plusieurs séjours à Londres couronnés de succès. Charles de Bériot joue également comme soliste dans les festivals des grandes villes d’Angleterre. Vers 1829 à Londres, il fait son premier concert avec la Malibran, que son père le ténor Manuel Garcia avait lancée quelques années auparavant sur la scène londonienne.
Nommé violon de la Chambre du roi Charles X en 1826 puis pensionné par le roi Guillaume Ier des Pays-Bas comme premier violon de sa musique particulière en 1827, il retourne à Paris au moment de la révolution belge de 1830. Amant de la Malibran, avec qui il a un fils – Charles Wilfrid de Bériot (1833-1914), futur pianiste et professeur, de Maurice Ravel notamment –, il l’accompagne dans ses tournées en Italie, Angleterre et Belgique. L’année 1836 voit se succéder leur mariage, la chute de cheval de la Malibran à Londres en avril et sa mort en septembre, à l’âge de 28 ans. Après des obsèques à Manchester, elle est inhumée au cimetière bruxellois de Laeken dans un mausolée que son époux a fait ériger à son intention.
Nommé professeur de perfectionnement pour le violon au Conservatoire de Bruxelles en 1843, il y démontre ses grandes qualités de pédagogue. Il compte ainsi parmi ses élèves les sœurs Milanollo, Teresa (1827-1904) et Maria-Margherita (1832-1848) ou encore Henri Vieuxtemps (1820-1881). Son apport pédagogique durable apparaît tout particulièrement dans sa Méthode de violon divisée en 3 parties, op. 102 qu’il publie en 1857 et 1858.
Sa santé fragile le contraint à ne plus se produire en public après 1846 puis à démissionner du Conservatoire en 1852. Retourné vivre à Paris, il souffre bientôt de cécité, d’asthme et de douleurs vertébrales. Malgré ses handicaps, il continue de pratiquer la musique avec ses amis et effectue même un voyage à Saint-Pétersbourg en 1859 sur l’invitation du mécène mélomane le prince Nikolaï Borissovitch Ioussoupov (1827-1891). Partageant désormais sa vie entre Paris et Bruxelles, il est gagné à partir de 1866 par une paralysie du bras gauche qui l’empêche définitivement de bien jouer du violon. Continuant cependant de composer, s’adonnant à l’écriture poétique ainsi qu’à la lecture des philosophes contemporains, il décède à Bruxelles le 8 avril 1870.
Doué d’une grande ingéniosité, il est capable aussi bien de sculpter – il réalise ainsi à Milan en 1834 un buste de la Malibran – que de fabriquer lui-même un violon. Il dresse les plans de plusieurs de ses maisons et en dirige les chantiers de construction. Aveugle, il invente « une machine à l’aide de laquelle il écrivait toute sa musique avec autant de facilité que d’exactitude. » (F.-J. Fétis)
En 1861, souffrant et empêché par l’asthme de s’allonger, il invente un lit-fauteuil automoteur qu’il fait breveter et dont il soumet le projet à l’Académie impériale de médecine. Ce lit est l’expression du besoin d’un homme en souffrance doublée d’une volonté philanthropique ; il est destiné de surcroît à toutes les bourses. Le principe en est simple : trouver « un meuble qui fût à la fois un lit confortable, une causeuse et un fauteuil », qui permette autrement dit la position allongée, la position assise et une position intermédiaire.
Il est composé de trois parties, une partie centrale immobile au centre et deux « parties de la tête et des pieds qui se meuvent simultanément à l’aide de deux leviers reliés par une tringle. » Le mouvement de bascule et les leviers permettent la transformation : « À peine accuse-t-on le mouvement que le chevet suit complaisamment l’intention du malade, et le système basculaire fait que les pieds s’abaissent en même temps que la tête se lève. » Dans sa notice biographique, François-Joseph Fétis ajoute que Charles de Bériot l’avait fait fabriquer par un mécanicien et un ébéniste et qu’il fonctionnait parfaitement.
Jérôme van Wijland
Sources primaires :
Acad. Méd. Mémoires 1861 n° 6 a. C. de Beriot, 37, Rue St Georges. Automoteur Lit-Fauteuil Breveté (S.G.D.G.). Manuscrit. 2 feuillets ; 2 planches hors-texte (dessin, couleurs) comportant 3 figures.
Acad. Méd. Mémoires 1861 n° 6 b. Le Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics. Pour le Ministre et par autorisation Le Directeur. Signé : Julien. Lettre soumettant à l’appréciation de l’Académie la description et le dessin d’un lit mécanique inventé par C. de Bériot. Paris, le 25 Mars 1861. Manuscrit. 2 feuillets.
Acad. Méd. Mémoires 1861 n° 6 c. Lettre adressée à Gavarret le nommant rapporteur du travail de Bériot. Paris, le 29 Mars 1861. Imprimé ; manuscrit. 2 feuillets.
Sélection bibliographique :
François-Joseph Fétis, Notice sur Ch.-Aug. de Bériot, membre de l’Académie, Bruxelles, F. Hayez, Imprimeur de l’Académie royale, 1871, Extrait de l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique, trente-septième année, 1871.
François-Joseph Fétis, « Bériot (Charles-Auguste de) », Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, 2e édition, Paris, Librairie de Firmin Didot frères, fils et Cie, 1860, Tome premier, p. 359-361.
Michael Goldstein, « Charles-Auguste de Bériot », Cahiers Ivan Tourguéniev, Pauline Viardot, Maria Malibran, vol. 10, 1986, p. 64-72.
Édouard Georges Jacques Gregoir, « De Bériot (Charles-Auguste) », Les artistes-musiciens belges au XVIIIe et au XIXe siècle, Bruxelles, Schott Frères, 1885, p. 105-108.
Edward Heron-Allen, A contribution towards an accurate biography of Charles Auguste de Bériot and Maria Felicita Malibran-Garcia : extracted from the correspondence of the former, Reprinted from The Violin Times, London, Printed for the Author by J. W. Wakeham, Church Street, Kensignton, 1894.
Boris Schwarz, « Bériot, Charles-Auguste de. » Grove Music Online. January 01, 2001. Oxford University Press,. Date of access 30 Jan. 2019, <https://www-oxfordmusiconline-com.rprenet.bnf.fr/grovemusic/view/10.1093/gmo/9781561592630.001.0001/omo-9781561592630-e-0000002816>
Marc Tollet, « Catalogue des lettres de Charles de Bériot », Revue belge de Musicologie / Belgisch Tijdschrift voor Muziekwetenschap, Vol. 43, 1989, p. 211-224.
Henri Vanhulst, Art. Bériot, Charles-Auguste de, in: MGG Online, hrsg. von Laurenz Lütteken, Kassel, Stuttgart, New York: 2016ff., zuerst veröffentlicht 1999, online veröffentlicht 2016, https://www-mgg–online-com-s.rprenet.bnf.fr/mgg/stable/19376
Henri Wauwermans, « Maria Félicité Garcia-Malibran-de Bériot d’après des correspondances inédites », Cahiers Ivan Tourguéniev, Pauline Viardot, Maria Malibran, vol. 10, 1986, p. 11-56.
Henri Wauwermans, « Maria Félicité Garcia-Malibran-de Bériot d’après des correspondances inédites. II », Cahiers Ivan Tourguéniev, Pauline Viardot, Maria Malibran, vol. 11, 1987, p. 73-113.
Henri Wauwermans et Paul Raspé, « Maria Félicité Garcia-Malibran-de Bériot d’après des correspondances inédites. III », Cahiers Ivan Tourguéniev, Pauline Viardot, Maria Malibran, vol. 12, 1988, p. 131-68.
Quelques références d’enregistrements :
Jerry Dubins, Robert Maxham, « Classical Recordings: Bériot – Violin Concertos: No. 2; No. 3; No. 5 », Fanfare – The Magazine for Serious Record Collectors, Vol. 32, n° 3, Janvier 2009, p. 113-115.
Bruce R. Schueneman, « Sound Recording Reviews: The French Violin School: From Viotti to Bériot », Notes – Quarterly Journal of the Music Library Association, Vol. 60, n° 3, Mars 2004, p. 757-770.
Comment citer cet article :
Jérôme van Wijland, « Le lit de réconfort du violoniste Charles de Bériot », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 31 janvier 2019. Disponible à l’adresse : http://bibliotheque.academie-medecine.fr/violoniste-charles-de-beriot/.