Sport et alimentation durant l’Occupation : le cas du docteur Philippe Encausse

La Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine vient de faire l’acquisition d’un dossier documentaire du plus grand intérêt historique. Datant des années 1943-1944, il est l’œuvre du docteur Philippe Encausse, alors membre du Bureau médical du Commissariat aux sports, médecin-chef de fédération sportive (et ancien champion universitaire d’athlétisme), et documente un débat qui a eu lieu en partie au sein même de l’Académie nationale de médecine dans les années 1942-1943, débat relatif à la justification de la pratique sportive en France, dans le contexte d’un rationnement alimentaire rigoureux.

Billet_2017_Encausse_EnfantsLa polémique sur le sport se développe à partir de 1941, dans le cadre plus général des préoccupations de l’Académie de médecine au sujet des effets du rationnement sur la santé de la population française. L’Académie, consciente de sa responsabilité en matière de santé publique, a créé en septembre 1940 une Commission du rationnement alimentaire au sein de laquelle siègent des opposants à l’occupant ou au régime tels que Georges Duhamel, Gustave Roussy, André Mayer, Robert Debré et Charles Richet fils. Ce dernier est l’auteur d’un rapport présenté le 27 janvier 1942, dans lequel il juge que les exercices physiques doivent être limités en période de restrictions alimentaires, résumant sa pensée par cette formule vigoureuse : « le sport, c’est le pain des autres ». Dans ce débat sur la place à donner aux activités sportives, l’Académie, qui multiplie les alertes adressées au gouvernement et les prises de positions sur l’insuffisance du régime alimentaire des français, accompagne la discussion plus qu’elle ne la tranche.

Billet_2017_Encausse_AvironLe rapport de Charles Richet fils (précédé de ceux de Rathery, Tanon et Dalimier, Le Noir, au cours de l’année 1941) a en effet suscité de vives réactions de la part des milieux sportifs et du Secrétaire d’Etat à l’Education nationale et à la jeunesse, à la demande duquel un échange de vue a lieu entre des représentants de la Commission du rationnement et des médecins spécialisés du Secrétariat d’Etat, dont fait partie Philippe Encausse. La concertation débouche sur une prise de position plus conciliante de l’Académie, lors de la séance du 17 mars 1942. L’année suivante, en 1943, cette « hauteur de vue », que le docteur Encausse reconnaîtra à l’Académie, la conduit même à lui accorder le prix A. J. Martin, pour un mémoire daté de février 1943 et intitulé « Influence des sports et de l’éducation physique sur la jeunesse en présence de l’alimentation actuelle ». À sa demande et par une lettre datée d’août 1943, elle lui donne de plus le droit de faire porter sur un article à paraître basé sur le mémoire la mention « ouvrage couronné par l’Académie de médecine », et ce 4 mois avant la proclamation du Prix (document ci-dessous).

 

C’est là un exemple des pièces rassemblées dans le dossier du docteur Encausse dont la Bibliothèque de l’Académie a fait l’acquisition récente. Celui-ci fournit ainsi de nombreux et précieux détails sur les différentes versions sous lesquelles le mémoire a été publié, et rassemble surtout un grand nombre de documents sur sa réception dans les milieux sportifs et médicaux. On y trouvera des éléments relatifs à l’histoire de la publications du texte, tirés-à-part ou coupures des différentes versions publiées, correspondance et réactions de lecteurs, mais aussi d’éditeurs : on y lira ainsi des lettres émanant de différentes administrations ou de particuliers réagissant aux idées ou faits présentés, ou demandant l’envoi de la brochure en vue de sa diffusion. Car l’intérêt suscité est large, comme en témoigne par exemple ce résumé paru dans la revue « L’Usine » du 22 juillet 1943, dans la rubrique « Le médecin à l’Usine », évoquant la situation des apprentis, ou encore cette demande de précision émanant de l’inspecteur des Écoles d’apprentissages des mines de fer de l’Est. Les pièces relatives à la réception du texte sont nombreuses et variées : à côtés de très nombreuses coupures de presse manifestement collectées avec soin, on pourra ainsi lire la transcription dactylographiée d’une chronique radiophonique du journaliste sportif Jean Dauven diffusée sur Radio-Paris.

 François Léger

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Bibliographie

– Encausse, Philippe, « Influence de l’éducation physique et sportive sur la jeunesse en fonction de l’alimentation actuelle », Éducation générale et sport, supplément au no. 6, avril-mai-juin 1943.

– Encausse, Philippe. Influence de l’éducation physique et sportive sur la jeunesse en fonction de l’alimentation actuelle. (Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Acad. Med. – Prix – A. J. Martin 1943 n°1)

– Encausse, Philippe, Éducation physique et sous-alimentation, Influence de l’éducation physique et sportive sur la jeunesse en fonction de l’alimentation actuelle, Paris, éd. Henri Dangles, 1944.

– Encausse, Philippe, Éducation physique et sous-alimentation, Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine,  Ms 1157 (2028) dg.

– Richet, Charles, « Sur la limitation temporaire des exercices physiques pendant la période des grandes restrictions alimentaires », Bulletin de l’Académie de médecine, vol. 126, 1942, p.72-75.

– Bueltzingsloewen, Isabelle von,  « Rationing and Politics : The French Academy of Medicine and Food Shortages during the German Occupation and the Vichy Regime », in Ina Zweiniger-Bargielowska, Rachel Duffett and Alain Drouard (ed.), Food and War in Twentieth Century Europe, Farnham, Burlington, Ashgate, 2011, p. 155-168.

 

 

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