« Quand on a commencé à manier le rayon X, on s’en est servi sans défiance, dans l’ivresse de la découverte inouïe. (…) Le temps passa, et il semblait que la radiographie fût inoffensive pour ceux qui l’administraient – quand, tout à coup, une sorte d’écaille s’ouvrit, purulente, à l’extrémité de chacun de leurs doigts. (…) – « Mon orphelin », me présente Infroit. D’un ton qu’il faisait enjoué, il me montrait dans un petit bocal un doigt de milieu, le sien, celui de sa main droite, dont le docteur Segond l’a séparé naguère. Dans le liquide, les trois phalanges s’érigent, écailleuses et meurtries, attestant le mal pour quoi on dut les condamner. Au milieu de la phalangette, une petite plaie se soulève : c’est le cancer… » (Charles Leboucq, « Un héros », Le Journal, 11 octobre 1912, p. 1)
L’héroïsme du savant manipulateur lui vaut d’être fait chevalier de la Légion d’honneur cette même année 1912. Le 28 novembre 1920, à l’âge de 46 ans, après avoir été amputé des deux bras et avoir subi plus de vingt opérations, le chef du laboratoire central de radiographie de la Salpêtrière décède d’un cancer dû aux radiations, non sans avoir été promu le mois précédent officier de la Légion d’honneur.
Moins de deux mois plus tard, le 11 janvier 1921, le président de l’Académie de médecine fait part au conseil d’administration de la proposition faite par la marquise Arconati Visconti (1840-1923) de fonder un prix portant le nom de Charles Infroit (1874-1920). Le prix doit être décerné tous les trois ans, « à une personne de nationalité française qui, par ses observations, ses recherches, ses publications, aura contribué notablement au développement de la radiologie médicale, envisagée dans son sens le plus large, comme l’application au diagnostic et au traitement des maladies des diverses radiations, notamment celles des rayons X, des rayons émis par le radium ou par toute autre substance radio-active. »
À sa mort en 1923, la marquise Arconati Visconti fait de l’université de Paris sa légataire universelle et fait créer ou octroyer bourses, prix, chaires et subventions, à l’École des chartes, à l’École pratique des hautes études, au Collège de France et à plusieurs universités. Elle répartit les ouvrages de la bibliothèque de son défunt mari et de la sienne entre plusieurs bibliothèques.
De son vivant, cette fille d’Alphonse Peyrat (1812-1890), journaliste devenu député siégeant à l’extrême-gauche, dans le groupe radical de l’Union républicaine (1871-1876), puis sénateur (1876-1890), s’était imposée comme une intellectuelle engagée. Elle tenait un salon que fréquentaient les hommes politiques tels Léon Gambetta ou Jean Jaurès, mais aussi les professeurs et intellectuels tel Joseph Bédier, et s’affirma comme un soutien constant du capitaine Dreyfus.
Le musée des Arts décoratifs lui rend aujourd’hui hommage, par une exposition qui bénéficie des prêts de multiples institutions ayant bénéficié des largesses de la marquise. Le commissariat en est assuré par Thérèse Charmasson, Anne Forray-Carlier et Stéphanie Méchine, assistées de Pauline Juppin et Marie Mouterde.
Inspiré par la figure de la marquise Arconati Visconti et complétant l’exposition, un colloque qui se tient en Sorbonne les 12 et 13 décembre 2019 permet d’évoquer l’histoire des mesures mécénales et philanthropiques en faveur des établissements de recherche ou d’enseignement supérieur.
Intitulé « Patrimoine, philanthropie et mécénat, XIXe-XXIe siècle. Dons et legs en faveur de l’enseignement, de la recherche et des institutions de conservation », il s’attache à des figures internationalement connues, telles les familles Rothschild et Rockefeller mais propose aussi des excursus régionaux, sur les villes de Strasbourg, Nancy ou Montpellier.
Jérôme van Wijland
Informations pratiques :
Exposition « Marquise Arconati Visconti, femme libre et mécène d’exception », Musée des Arts Décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, du 13 décembre 2019 au 15 mars 2020. Voir le communiqué de presse.
Colloque « Patrimoine, philanthropie et mécénat, XIXe-XXIe siècle. Dons et legs en faveur de l’enseignement, de la recherche et des institutions de conservation », Chancellerie des universités de Paris, Grand salon de la Sorbonne, 47, rue des Écoles, 75005 Paris, les 12 et 13 décembre 2019. Voir le programme.