Au mois de septembre 2015, la presse se faisait l’écho d’une prothèse de main de nouvelle génération, articulée et programmable, fabriquée grâce aux technologies numériques et à l’impression 3D par un ouvrier victime d’un accident du travail.
Dès le XVIe siècle, des mains artificielles ont été mises au point. Au XVIIIe siècle, les fabricants d’automates conçoivent des mains automotrices. Au XIXe siècle enfin, un certain nombre de médecins comme de fabricants d’instruments médico-chirurgicaux s’intéressent à la question des prothèses de membres amputés. C’est ainsi que le comte de Beaufort appareille des soldats amputés lors de la guerre de Crimée et qu’il met à la disposition des plus démunis des bras artificiels automobiles. En restreignant les mouvements possibles à la seule articulation du pouce artificiel, il réussit à réduire fortement les coûts de fabrication. Mais son appareil s’avère plus utile aux travaux exigeant de l’adresse plutôt qu’à ceux nécessitant de la force.
Lors de l’Exposition universelle de 1867, deux nouvelles inventions sont proposées, plus adaptées aux travaux de grande pénibilité. La première émane du fabricant d’instruments Mathieu et est plus particulièrement destinées aux charpentiers et aux menuisiers. La seconde est le bras agricole inventé par un sellier de Nérac, dans le Lot-et-Garonne, un certain M. Bonnet. Si son invention s’attire les avis les plus favorables, le coût élevé et l’obligation de commander les prothèses auprès de l’inventeur lui-même entravent à brève échéance le succès de l’entreprise. Un an après l’Exposition universelle, un autre modèle de prothèse est mis au point par un médecin de campagne, le docteur Gripouilleau.
Prosecteur de Saturnin Thomas à l’École de médecine de Tours, Armel Gripouilleau devient expert dans la préparation de pièces ostéologiques sèches appelées pièces squelettologiques naturelles ainsi que dans leur mise en scène (lors de l’Exposition universelle de 1855, son groupe squelettologique composé de plus de cent sujets correspondant aux quatre ordres de vertébrés se voit décerner une mention honorable).
Il s’installe ensuite en tant qu’officier de santé à Montlouis (aujourd’hui Montlouis-sur-Loire), petit bourg rural d’un peu plus de 2000 habitants, situé entre Cher et Loire à l’Est de Tours. Membre de plusieurs sociétés scientifiques, il fait paraître différentes observations issues de sa pratique, portant sur des grossesses pathologiques et des phénomènes tératologiques (sur une grossesse extra-utérine et un kyste fœtal, sur un fœtus dérencéphale). Passionné d’apiculture, il livre également plusieurs publications sur le sujet (Le Mélilot jaune ou mélilot officinal, le mélilot blanc ou mélilot de Sibérie, plantes fourragères très-mellifères ; De l’Apiculture en Touraine. Description d’une ruche nouvelle ; Métier à fabriquer des ruches en paille ; Observations sur une ruche métallique et sur une colonie d’abeilles).
En juin et juillet 1868, Armel Gripouilleau, soumet au jugement de l’Académie de médecine un appareil prothétique destiné aux agriculteurs, vignerons et terrassiers, victimes d’accidents ou bien soldats amputés rendus à la vie agricole. Il est même disposé à se rendre à Paris « avec un malheureux manchot pour le faire manœuvrer sous les yeux de la commission ». En octobre des photographies parviennent à l’Académie. Chargé de faire un rapport sur la prothèse du Dr Gripouilleau, Paul Broca rend en juin 1869 un avis extrêmement favorable. Il rappelle tout d’abord l’intérêt de ce type de prothèses, en soulignant que la classe agricole reste la classe la plus nombreuse et que les campagnes sont éloignées des établissements hospitaliers donc de la possibilité de se voir prodiguer rapidement des soins. Puis, après avoir retracé l’histoire, les avantages et les inconvénients respectifs des bras mis au point par Beaufort, par Mathieu et par Bonnet, il rappelle les expériences publiques faites par Gripouilleau et explicite les deux avantages majeurs de son invention : non seulement « le bras artificiel de M. Gripouilleau remplit parfaitement et complètement toutes les conditions de force et d’efficacité que l’on peut exiger d’un bras agricole », mais « la supériorité décisive du bras-Gripouilleau, c’est l’extrême modicité de son prix, qui ne dépasse pas 20 francs, et qui est accessible aux bourses les plus modestes. C’est aussi le désintéressement de l’auteur qui laisse son invention dans le domaine public, et qui ne réclame pour lui d’autre récompense que l’approbation de l’Académie ».
Les avis favorables qu’il reçoit de la Société d’agriculture d’Indre-et-Loire, de la Société impériale de chirurgie et de l’Académie de médecine lui permettent d’éditer une première brochure (Prothèse du pauvre. Le Bras artificiel agricole. Nouvel appareil prothétique de force inventé par A. Gripouilleau, médecin à Montlouis, 1870), contenant les différents rapports ainsi que le compte rendu de ses expériences publiques. Surtout, l’ouvrage comporte la notice détaillée de son bras artificiel agricole, accompagnée de 7 planches. En 1873, il en fait paraître une édition très augmentée (Le Bras artificiel du travailleur, ou Nouveau moyen pratique et économique de remédier à l’ablation du membre supérieur chez les agriculteurs, terrassiers et manouvriers, 1873).
Son but est de fournir une prothèse de bras adaptée à l’exécution de tous types de travaux agricoles. La partie fixe de sa prothèse est constituée d’un brassard de cuir, d’une rondelle de bois formant moignon et d’une armature de fer munie d’une vis destinée à recevoir différentes pièces mobiles suivant l’usage désiré (bêcher, faucher, tailler, etc.)
Dans l’un de ses envois, Armel Gripouilleau livre une série de dessins illustrant les différentes configurations de son bras prothétique que nous vous proposons de découvrir dans cette galerie :
Des années plus tard, en 1887, le Dr Gripouilleau soumet à l’appréciation de l’Académie, photographies à l’appui, un nouveau modèle de prothèse destinée aux journaliers, fabriqué en bois, zinc et tôle, et d’un prix toujours modique.
Lorsqu’il décède en avril 1909, Louis Dubreuil-Chambardel célèbre en lui non seulement le doyen du corps médical tourangeau mais aussi le bon médecin de campagne et le philanthrope.
Jérôme van Wijland