Les « Lectures du médecin » de Léon Cerf

Les Lectures du médecin, « Revue mensuelle réservée au corps médical », est un périodique paru en France entre 1931 et 1935. La Bibliothèque de l’Académie conserve une collection de cette source rare pour l’histoire culturelle du milieu médical. La revue a paru environ une fois par mois entre octobre 1931 et la fin de l’année 1935, sous forme de petits fascicules in-8° d’une trentaine de pages, agrémentés d’assez rares illustrations en noir et blanc. Dans l’éditorial du premier numéro, d’octobre 1931, la rédaction annonce ses ambitions :

« C’est que le but de haute culture poursuivi par Notre Revue répond à une nécessité impérieuse. Le Corps médical est une élite qui ne conservera son prestige – je dirai plus : qui ne pourra remplir sa fonction – que s’il garde ses plus hautes aspirations. Le jour où le Médecin ne concentrera plus son attention que sur des préoccupations matérielles et n’aura l’esprit garni que de connaissances purement professionnelles, il pourra être un marchand de soin ; il ne sera plus un Médecin. »

On peut voir dans cet objectif le reflet assez exact de la carrière du fondateur de la revue et auteur de ces lignes, Léon Cerf. Celui-ci est en effet un esprit érudit et ouvert, un médecin actif, mais aussi un passionné d’histoire et de littérature. Né à Mâcon d’un père négociant, Léon Cerf (1868-1957) soutient sa thèse de médecine à Paris en 1895. Il s’agit de notes et de vérifications du cours donné en 1893 par Farabeuf, dont il est « l’élève préféré », affirmera plus tard un journal d’Angers. C’est en effet dans cette ville qu’il s’installe après ses études, et se signale d’abord par son activité de « médecin des enfants » : il est actif au sein de la Société des sciences médicales d’Angers, publie des articles médicaux. Il organise une vaccination gratuite en 1898, une exposition sur l’Hygiène de l’enfance en 1903. Dès 1899, un journal local voit en lui une des « personnalités les plus en vues du monde médical ». Il épouse à Nantes en 1904 Jeanne Noury de Mauny, la fille d’un propriétaire en vue, et évolue ainsi parmi la notabilité d’Angers. Léon Cerf peut dès ce moment compter sur de solides relations dans le monde médical, puisque figurent parmi les témoins de son mariage Albert Josias (1852-1906), membre de l’Académie de médecine et  Georges Marion, jeune professeur agrégé de la Faculté de médecine de Paris (et futur membre de l’Académie).  Il publie entre 1907 et 1910 plusieurs chroniques de puériculture dans Le petit courrier, un journal local. Il est alors correspondant du journal Le médecin de campagne, fondé par Jos Jullien (1877-1956) et paraissant entre 1908 et 1914. Durant la guerre, il sert comme médecin chef au 83e régiment d’artillerie lourde du gouvernement militaire de Paris, et obtient la légion d’honneur en 1917. La guerre terminée, il fonde un nouveau titre, Le médecin français, qui paraîtra de 1919 à 1939.

C’est dans cette même période d’après-guerre que se développe son activité d’érudit, et sa bibliographie rend bien compte de la diversité de ses centres d’intérêts, qui alimenteront plus tard les articles des « Lectures ». Son érudition s’exprime par des contributions littéraires et historiques éclectiques dans la presse (Dans la Revue bleue, sur la maison natale de Richelieu, ou sur un manuscrit retrouvé de Bossuet) et au sein de société savantes (sur l’iconographie de Saint-Bernard, lors d’un congrès à Dijon en 1927, où afigurent Henri Pirenne ou Camille Jullian comme présidents de session), mais aussi par des éditions, souvent assorties de préfaces, notes et commentaires : Lamartine, Jocelyn (1929) puis Graziella ; Raphaël  (1929), Joubert, Pensées (1929), Du Bellay, Les Regrets (1927), Tallemant des Réaux, Historiettes (1929), Souvenirs de David d’Angers sur ses contemporains (1928), Lettres de Napoléon à Joséphine (1929), Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules (1928). Comme auteur, il signe un Reliquaire de Lamartine, compilations d’illustrations dont il rédige les notices (1925), et, peu avant la guerre, il se passionne pour les amours royales en écrivant une série de livres dans une collection intitulée L’Histoire vue par un médecin : Mariages de rois, mariages d’enfants (1939), Héritiers et bâtards de rois (1939), Les indécisions du sexe (1940).

Lorsqu’il fonde à 63 ans Les lectures du Médecin, Léon Cerf mobilise donc à la fois sa culture et son réseau.  Son réseau, c’est d’abord un petit cercle restreint de rédacteurs (dont fait par exemple partie Jos Jullien, médecin, graveur, et comme lui homme de lettres et de culture) qui l’accompagne durant les 4 années d’existence du titre. En outre, la revue publie dans chaque numéro les listes de membres d’un comité d’honneur, où l’on reconnaît quelques membres de l’Académie de médecine, d’un comité de patronage, et d’un réseau de correspondants dans les départements, qui contribuent plus ou moins activement au contenu de la revue. La rédaction est domiciliée à Paris, au 42 boulevard de Port-Royal dans le Ve, puis au 11 rue Monticelli dans le XIVe.

Aucune ligne éditoriale n’est identifiable dans ce journal qui affirme en janvier 1933, un peu plus modestement que dans le premier éditorial, vouloir seulement « procurer aux Médecins un délassement de bon aloi, lutter contre la déformation professionnelle, contribuer à entretenir les forces spirituelles du Corps médical, réaliser toutes initiatives favorisant les plaisirs intellectuels des Médecins ». Si les articles historiques ont parfois tendance à pencher vers la maladie et  la mort des hommes célèbres – on citera, pêle-mêle, la cardiopathie de Balzac,  la tombe de Buffon, les restes de Turenne, le cercueil du Cardinal de Retz, les derniers moments de Bède le vénérable, l’autopsie de Mgr de Marinis – les sujets débordent en réalité le plus souvent de la médecine et relèvent de la pure érudition, liée aux centres d’intérêt personnels des auteurs, avec une prédilection marquée pour la culture classique et l’Antiquité. Pour donner le ton, le premier numéro de la revue s’ouvre sur une relecture par Léon Cerf des actes du concile de Mâcon (585), critiquant une tradition voulant qu’y ait été discutée l’existence d’une âme chez la femme, alors que la question soulevée n’était que de grammaire et de sémantique latine (une mulier peut-elle être désignée comme homo) ? On peut également signaler quelques contributions ethnographiques d’Arnold van Gennep, mais aussi des textes consacrés à l’œnologie, à la pratique de la photographie ou de l’aviation de tourisme. La revue contient des conseils de lectures, fait une large place à la poésie, avec des auteurs qui ne sont pas toujours médecins (comme Suzanne Buchot, qui obtient par la suite plusieurs prix de l’Académie française). L’actualité n’apparaît que très rarement, ainsi lorsque René Monnet, au début de l’année 1934, réagit à la loi allemande d’avril 1933 sur la fonction publique du IIIe Reich, qui fait référence à une « race aryenne »), en répondant aux « racistes d’outre-Rhin » que « le moindre ethnologue amateur d’aujourd’hui sait fort bien que le mot Aryen ne signifie anthropologiquement rien du tout » , ou lorsque Paul Noury livre ses considérations sur « la crise actuelle », en rappelant que Lamartine avait en son temps déjà laissé entrevoir les conséquences de la modernité démocratique et industrielle. Nonobstant ces deux exemples, la politique est tout à fait absente du journal, à moins qu’on ne veuille la trouver dans le regret exprimé malicieusement par Léon Cerf, que Robespierre ait renoncé à sa médiocre poésie de jeunesse pour se faire élire député du Tiers.

François Léger

Référence bibliographique :

Les Lectures du médecin, Largentière, Impr. E. Mazel, 1931-1935, cote 93661.

 

Pour citer cet article :

François Léger, « Les « Lectures du médecin » de Léon Cerf », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 2 avril 2021. Disponible à l’adresse : http://bibliotheque.academie-medecine.fr/lectures-du-medecin/.

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