Un unicum est un livre dont un seul exemplaire est répertorié. Nous présentons dans cette rubrique des ouvrages conservés par la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine qui ne se trouvent ni dans les autres bibliothèques relevant de l’enseignement supérieur et de la recherche ni à la Bibliothèque nationale de France. Sélectionnés pour leur rareté, ces ouvrages sont aussi remarquables pour leur intérêt scientifique et intellectuel.
Si son auteur, qui se qualifiait lui-même ailleurs d’ « Albert le Grand morave », n’avait pas de doute sur la valeur de son œuvre, le Vollständige Hauß- und Land-Bibliothec de Andreas Glorez est cependant aujourd’hui très peu étudié (et Andreas Glorez demeure presque totalement inconnu). C’est en partie parce qu’il relève d’un genre littéraire très particulier, propre à l’Allemagne baroque des XVIIe et XVIIIe siècles, appelé Hausvätersliteratur. Le terme est utilisé pour désigner des ouvrages dont l’objectif était de fournir les connaissances nécessaires à un propriétaire foncier pour diriger son domaine et sa maisonnée. De là la diversité des thèmes abordés dans ses quatre grandes parties : la première touche à différents aspects d’agriculture, d’horticulture, de chasse ou de pêche, avec index et table des matières, le tout abondamment illustré de gravures.
Ci-dessus, quelques exemples de planches d’illustrations de la première partie : l’élevage et les soins vétérinaires aux chevaux ; la chasse au canard (détail) ; techniques d’apiculture ; concevoir le plan des jardins d’agrément ; comment imprimer les tissus…
La seconde partie est consacrée au corps et à la médecine, elle se subdivise elle-même en cinq parties : anatomie (de la tête au pied), traitement des maladies et des blessures, remèdes rares et nouveaux (pansements, pommades), observations des urines, à quoi s’ajoute une annexe de 54 pages sur « ces maladies, qui proviennent de la magie ». Et en effet, la partie médicale de l’ouvrage est imprégnée de la pensée d’une « magie naturelle », caractéristique de cette période qui ouvre « l’âge des Lumières » en puisant dans la pensée médiévale et dans celle de la Renaissance. Difficile à caractériser, cette magia naturalis est une science de l’occulte qui porte sur les forces de la nature. Elle repose sur l’analogie pré-moderne du macrocosme et du microcosme, mais peut aussi se montrer proche de certaines formes de science expérimentale.
Un des nombreux remèdes contre la pierre (II, p. 41) : on fera bouillir avec un peu de vin blanc, jusqu’à évaporation du tiers : du suc d’alkékenge, du suc de persil, de chacun une livre. Des graines de fenouil, d’ache, de laitue, de saxifrage, de grémil ; de chacun deux drachmes. Des fleurs de violettes ; du raisin ; de chacun une demi-drachme. On sucrera pour obtenir un sirop.
Le livre se poursuit avec une partie consacrée à différentes techniques, imprimerie, verrerie, alchimie ou chimie, et s’achève par une compilation de modèles de lettres. On peut rattacher cette littérature à un genre populaire, mais on ne doit pas s’y tromper : l’ouvrage s’adresse en fait à un public lettré voire savant (par exemple lorsqu’il expose des remèdes sous forme de dosages complexes). En outre, comme il s’agit d’une compilation, le public auquel il est destiné est plus large que celui des différents textes dont elle provient. À ce double titre, il offre pour l’histoire culturelle un aperçu précieux sur d’autres pensées vivantes du tournant du XVIIIe siècle, mettant au jour la coexistence durable de l’idée de « magie naturelle » et de la pensée des Lumières.
L’ouvrage a fait l’objet de trois éditions, en 1699, 1700 et 1701. Puis une Neuangeordnete vollständige Haus- und Land-Bibliothec est publiée en 1719 à Nuremberg et Francfort, réorganisée par Georg Philipp Platz en deux parties. Presque tous les exemplaires des différentes éditions se trouvent dans des bibliothèques allemandes ou de Suisse alémanique.
François Léger
Bibliographie :
Andreas Glorez, Vollständige Hauß- und Land-Bibliothec, Regenspurg zu Statt am Hof, in Verlegung Quirini Heyl, 1699.
Will-Erich Peuckert, « Andreas Glorez », in G. Heilfurth et H. Siuts (dir.), Europäische Kulturverflechtungen im Bereich der volkstümlichen Überlieferung. Festschrift zum 65. Geburtstag von Bruno Schiers, Göttingen, Otto Schwartz, 1967, p. 73-80.
Will-Erich Peuckert, Gabalia: ein Versuch der magia naturalis im 16. bis 18. Jahrhundert, Berlin, E. Schmidt, 1967.
Claus Priesner, « “Der zu vielen Wissenschaften anweisende curiöse Künstler”. Alchemie, Volksmagie und Volksmedizin in barocken Hausbüchern », Sudhoffs Archiv, 2011, vol. 95, no 2, p. 170‑208.
Pour le déchiffrage des symboles utilisés dans les formulations pharmaceutiques :
Wolfgang Schneider, Lexikon alchemistich-pharmazeutischer Symbole, Weinheim/Bergstrasse, Verlag Chemie, 1962.
Comment citer cet article :
François Léger, « Les unica de la Bibliothèque – II. Vollständige Hauß- und Land- Bibliothec », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 15 mai 2019. Disponible à l’adresse : http://bibliotheque.academie-medecine.fr/land-und-haus-bibliothec/.