Le 19 octobre 2016 marque le centenaire de la naissance de Jean Dausset, membre de l’Académie nationale de médecine (1977), de l’Académie des sciences (1977), professeur au Collège de France (1978), prix Nobel de physiologie et de médecine 1980, Grand-croix de la Légion d’honneur (2000).
Lorsqu’en 1977, après 3 premières candidatures infructueuses entre 1973 et 1976, Jean Dausset est élu à l’Académie de médecine, ses travaux sur le complexe majeur d’histocompatibilité et les applications thérapeutiques qui en découlent, en particulier dans la transplantation d’organes, lui ont déjà valu une large reconnaissance.
Reçu à l’internat en 1941, c’est lors de la campagne de Tunisie que Jean Dausset, médecin-réanimateur aux armées, est conduit par sa pratique des transfusions sanguines vers les recherches d’immuno-hématologie et les problèmes de compatibilité. Son parcours de chercheur commence au Centre de transfusion de l’hôpital Saint-Antoine, où il est affecté après-guerre : il est marqué par des progrès réguliers et une confiance inébranlable dans les perspectives ainsi ouvertes. 1952 : la découverte d’agglomérats de globules blancs après mise en contact avec du sérum de transfusés prouve l’existence d’anticorps attaquant les globules blancs. 1958 : la mise en présence systématique de globules blancs et de sérum permet de reconnaître un premier antigène de globule blanc, le groupe MAC, nom issu des initiales du trio de donneurs bénévoles. 1964/1965 : l’identification de ce premier antigène a été suivie d’autres, qui ont permis la mise en évidence d’un système Hu-1, qui deviendra quelques années plus tard HLA (Human Leucocyte Antigen). La multiplicité des combinaisons d’antigènes du système fait qu’il n’existe pas deux individus identiques, en dehors des jumeaux homozygotes.
Au cours des années 1950, Jean Dausset ne fait pas seulement preuve de l’intuition du chercheur et du talent de l’organisateur : il affirme aussi sa sensibilité à l’art contemporain et une vision sociale de la médecine et de la recherche. Son goût pour l’art contemporain le conduit à installer avec sa première épouse Nina une galerie d’art rue du Dragon, où il expose les œuvres d’artistes surréalistes : Brauner, Tanguy, Matta et bien d’autres.
Sa vision de l’hôpital et de la recherche médicale le conduit à faire partie de ce qu’il appellera « un groupe de Jeunes-Turcs », qui fait la promotion de la réforme de la médecine universitaire et des hôpitaux, d’abord auprès de Pierre Mendès-France, puis, conduit par Robert Debré, auprès de Michel Debré et du général de Gaulle, qui signe l’ordonnance décisive le 31 décembre 1958. Jean Dausset travaille alors à la mise en œuvre de la réforme, mission qui le conduit pour la première fois au sein de l’Académie de médecine – se souvient Jacques-Louis Binet en 2009 dans son hommage posthume.Jean Dausset a très vite eu l’intuition des effets potentiels de ses découvertes pour les greffes d’organes : les groupes HLA ne caractérisent pas seulement les leucocytes mais identifient des groupes tissulaires qui peuvent déterminer l’évolution d’une greffe d’organe. L’influence du complexe HLA sur les greffes a été peu à peu acceptée et a permis d’améliorer le succès des transplantations par la sélection des donneurs. Les recherches conduites par Jean Dausset le conduisent également à établir des liens entre système HLA et certaines maladies, ouvrant la voie au concept de « médecine prédictive ». En 1980, Jean Dausset reçoit avec deux chercheurs américains, Baruj Benacerraf et George Snell, le prix Nobel de physiologie et de Médecine pour « leurs découvertes concernant les structures génétiquement déterminées à la surface des cellules qui régulent les réactions immunologiques ».
L’aventure artistique s’est poursuivie au cours des années 1960 et 1970 avec Rosa, sa seconde épouse, avec qui il réalise une collection de photographies d’épouvantails découverts au hasard de leurs voyages, sur plus de 36 ans et dans plus de 25 pays.

« L’épouvantail est comme chacun de nous : un mélange subtil d’inné et d’acquis, inspiré par la nature propre de son auteur et par son environnement. C’est en quoi il est particulièrement précieux et révélateur. Pure expression de l’âme dans sa naïveté, souvent avec maladresse, mais parfois avec beaucoup d’élégance, voire d’humour » (Jean Dausset, Clin d’œil à la vie, p. 111).
A la suite du prix Nobel, art et science se nouent une nouvelle fois d’une manière inattendue dans la vie de Jean Dausset par le hasard des retrouvailles avec Hélène Anavi, riche collectionneuse qui reconnaît dans le prix Nobel de Médecine celui à qui elle a acheté quelques tableaux rue du Dragon. Deux ans plus tard, elle lègue une fortune qui permet à Jean Dausset de fonder en 1984 le Centre d’étude du polymorphisme humain (CEPH) qui, à partir de maladies associées au HLA, joue un rôle pionnier dans l’étude du génome humain.
Confiant dans la science, mais humaniste et conscient des dangers qu’elle comporte, Jean Dausset a activement défendu la nécessité de choix éthiques dans l’application des découvertes médicales, en participant aux travaux du Comité consultatif national d’éthique et à ceux du comité international de bioéthique de l’UNESCO, en présidant le Mouvement universel de la responsabilité scientifique (MURS), et en apposant depuis les années 1980 sa signature à des pétitions et appels variés : contre le tabagisme et l’alcoolisme (1990), contre le brevetage du génome (2000), pour la réforme de l’École (2000), contre la pollution chimique (2004).
La découverte du système HLA, établissant les modalités biologiques et immunologiques de la reconnaissance par l’organisme de ce qui lui appartient, fait de chaque individu un être biologiquement unique, et prend une portée humaniste. Jean Dausset pouvait ainsi doter son champ de recherche médicale d’une signification plus profonde : «L’immunologie est la science de la défense du soi contre le non-soi dans le respect du soi. » (Jean Dausset, Clin d’œil à la vie, p. 195).
François Léger
Bibliographie :
Jean Dausset, Clin d’œil à la vie, La grande aventure HLA, Paris, Odile Jacob, 1998.
Rosa Dausset, La route des épouvantails, Paris, EDS éditeur, 2002.