Correspondance – I. L’année 1887

Dans les archives de l’Académie de médecine sont conservées les liasses de la correspondance dite des particuliers. Si la majeure partie de cette correspondance émane, de fait, de particuliers, médecins ou non, elle contient également des lettres d’académiciens et, même, des échanges à usage interne à l’Académie. Cette série de billets aura pour objectif de mettre en valeur l’intérêt des nombreux courriers reçus chaque année par l’Académie de médecine.

C’est avec l’année 1887 que nous l’inaugurons.

Lorsque les courriers émanent d’un académicien, ils concernent généralement les divers aspects de la vie académique : élection (candidature, remerciements après avoir été élu), demande de tour de parole en séance, travail de commission, rapports, décès et obsèques de confrère, etc.
Nombre de médecins et de pharmaciens s’adressent à l’Académie pour s’enquérir du règlement des concours et des prix, qu’il s’agisse des prix issus de legs nominatifs ou des médailles et récompenses décernées au titre de différents services (vaccine, épidémies, eaux minérales, hygiène de l’enfance, etc.) ou pour soumettre à son appréciation les résultats de leurs recherches. Les médecins ou les tutelles – les maires, les préfets –, peuvent réclamer l’envoi de vaccine pour procéder à des campagnes de vaccination.
Quant aux particuliers, de manière plus générale, médecins ou non, ils écrivent à l’Académie de médecine pour lui demander d’examiner telle source d’eau minérale ou bien de donner son approbation à des remèdes ou à des procédés thérapeutiques auxquels sont volontiers associés des placards publicitaires (voir galerie ci-dessous). A ce titre, ces échanges entrent en résonance avec la sous-série F8 des Archives nationales, communément connue sous le nom de « Police sanitaire », dont Alexandre Labat, Martine Plouvier et Catherine Mérot ont dressé l’inventaire (voir Archives Nationales, réf. infra). Les demandes d’examen des remèdes secrets doivent en effet être adressées au Ministre du Commerce, qui sollicite alors l’avis de l’Académie de médecine. Un même dossier peut comporter des pièces dans l’un et l’autre fonds. On trouve par exemple dans l’inventaire de la sous-série F8 la mention suivante :

  • Rouget (le dr F.), de Toulouse : « dragées stomachiques reconstituantes ». 1886-1887. (F8 250, cf. Archives Nationales (Paris), Police sanitaire, p. 237)

Et dans celui de la correspondance :

  • Dr F. Rouget n’exerçant plus la médecine pour cause d’infirmité. Rue Cujas n° 11. Lettre soumettant à l’appréciation de l’Académie de médecine, la formule et un flacon échantillon de dragées stomachiques et reconstituantes. Toulouse, le 6 Février 1887. Manuscrit. 1 feuillet. (BANM, Acad. méd. Correspondance 1887 n° 315)
  • Adèle Rouget. Rue du Taur 13. Lettre soumettant à l’appréciation de l’Académie de médecine, des dragées stomachiques reconstituantes, contre l’anémie, l’appauvrissement du sang, les douleurs gastriques, la convalescence, la débilité et la faiblesse générale, précédemment soumises par feu son père le docteur Ferdinand Rouget, décédé le 4 mars 1887. Toulouse le 12 Mai 1887. Manuscrit. 1 feuillet. (BANM, Acad. méd. Correspondance 1887 n° 316)

Aux lettres sont parfois associés, dans le même document ou sur un papier à part, les brouillons des réponses. Ceux-ci, de nature répétitive, sont néanmoins très précieux pour comprendre le fonctionnement de l’Académie de médecine.
Les courriers reflètent les préoccupations du temps : la lutte contre la rage, la morve, la syphilis, les épidémies de rougeole, de variole, de pelade, de croup, de choléra, l’hygiène et la salubrité publique (assainissement urbain, lutte contre l’alcoolisme, lutte contre le tabac), l’hygiène de l’enfance, les eaux minérales, etc.
Ainsi, la correspondance témoigne du fonctionnement du service de l’hygiène de l’enfance de l’Académie de médecine. Le préfet de l’Aisne demande à l’Académie de médecine de lui faire parvenir, pour le compte de M. Jenot médecin à Dercy, une douzaine d’exemplaires des tableaux concernant les renseignements statistiques sur l’hygiène de l’enfance (BANM, Acad. méd. Correspondance 1887 n° 159) – sur ces tableaux-programmes, voir François Léger et Jérôme van Wijland, réf. infra. De fait, Edmond Alfred Jenot (Laon, 1833-Dercy, 1903), officier de santé, se distingue dans ce service, obtenant une médaille de bronze en 1886, une médaille d’argent en 1888, une médaille de vermeil en 1889, suivie de rappels en 1890, 1891, 1892, 1896 et 1899. La correspondance atteste également de son dévouement dans la lutte contre les épidémies.

L’Académie de médecine comme intercessrice
Au-delà des propositions, qu’on pourrait qualifier de positives, la correspondance est aussi le lieu des requêtes, des plaintes et des récriminations, de la dénonciation des injustices, où l’Académie de médecine peut apparaître comme une intercessrice possible.
Un dénommé Ernest Neau, domicilié au 42, boulevard Voltaire, adresse le 15 juin 1887 une lettre de protestation contre l’installation de ménageries dans le centre de Paris :

« La ménagerie Pezon s’installe en ce moment, Boulevard Richard-Lenoir au coin de la rue Oberkampf et cela du 19 juin à fin juillet probablement y compris les fêtes du 14 juillet. Je croyais que vous aviez obtenu l’année dernière (à la suite d’une de vos délibérations) du Préfet de la Seine et du Préfet de Police, que les ménageries ne seraient plus tolérées dans les centres de Paris. Indépendamment des cris et hurlements des fauves, toute la nuit, ce qui empêche les habitants voisins de dormir, il y a là une question d’hygiène très sérieuse pour tout le quartier, le fumier et le purin de ces fauves est une odeur horrible, joignez-y le purin humain de toute la foule qu’attire ces établissements tous les soirs, les arbres du boulevard, les coins de maisons, les entre-deux des boutiques, les tuyaux de descente, sont autant d’urinoirs, le sol s’en imprègne et pendant un mois encore après le départ de ladite ménagerie, l’odeur persiste encore et les enfants du quartier, vont jouer au sable et remuer cette terre infectée. Par les chaleurs excessives que nous avons et qui peuvent persister pendant juillet et août cela est très dangereux pour toute la population du quartier, qui n’a que cette promenade (Boulevard Richard-Lenoir) pour respirer un peu après la journée de travail. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 266)

Madame Tanguy, domiciliée à Saint-Denis (Seine), prie l’Académie de médecine d’intercéder auprès du Dr Cherpasier (probablement le docteur Serpaggi, de Pierrefitte) afin qu’il délivre un certificat attestant les blessures subies par son mari :

« Une pauvre mère de famille restée seule avec trois enfants en bas-âge, sans aucune ressource est dans une situation très précaire, par l’accident que son mari le nommé Tanguy, Laurent a éprouvé le 12 juillet 1884 dans un éboulement dans un égout à Stains, dont l’entrepreneur était M. Morin, par suite de cet accident, mon mari n’est plus capable de pouvoir travailler. Un jugement a été rendu par le bureau de l’assistance judicaire, par suite de ce procès, il est devenu aliéné par toutes les souffrances qu’il a endurées. Le médecin M. Cherpasier demeurant à Pierrefitte, c’est lui-même qui a constaté toutes les fractures du bras gauche. Je me suis adressé plusieurs fois auprès de M. le Docteur, afin qu’il puisse me délivrer un certificat pour donner suite à mon procès, il s’y est toujours refusé. Je ne sais dans quelle intention [il] s’est refusé de me délivrer ce certificat, puisque c’est lui-même qui a soigné mon mari. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 333)

Une Académie de médecine prodigue ?
Des demandes d’argent ou d’aide financière parviennent également à l’Académie, liées à diverses situations. Deschanels, homme de 79 ans qui se présente comme docteur en médecine de la Faculté de Montpellier, attaché au service médical des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, fait valoir ses états de service au sein des populations des montagnes de l’Ardèche, pour demander à l’Académie de lui avancer une somme lui permettant de rembourser ses dettes (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 87-88) :

« J’ai eu l’honneur de dire à Monsieur Vulpian que si l’Académie de médecine me comptait la somme de trois mille cinq cents francs pour me délivrer des vampires qui me poursuivent à outrance ou bien si l’Académie voulait adresser cette somme à celui de nos très honorés confrères d’Avignon (Vaucluse) qui est le plus à sa convenance, je payerai annuellement l’intérêt jusqu’au remboursement. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 88)

Corps – Les merveilles de la Nature
La correspondance permet également de déployer toute une histoire du corps, ou des corps, qu’ils soient extraordinaires, à vendre, qu’il faille s’assurer de leur mort ou encore qu’ils soient contraints. Le besoin d’argent peut être accompagné d’une proposition, d’un défi, qui met en exergue les caractéristiques extraordinaires de tel ou tel corps. Un certain D. C. Constantinides, de Marseille, propose à l’Académie de médecine de lui vendre le corps d’un géant, Amanatis Tinkitzoglous, Grec, né à Kérassunde [aujourd’hui Giresun], mesurant de son vivant 2,37 m :

« Ce Géant a expiré le 24 janvier à l’âge de 22 ans à Simferopoli [Simferopol] Russie, son corps, embaumé par des médecins spéciaux, se trouve actuellement à Sebastopol. Le Bridich Muséum [sic pour British Museum] de Londres et autres ont été montrés acquéreurs. Par conséquent vous m’obligerez bien M. le Président en me renseignant si l’Académie de médecine également est acquéreur et à quel prix. Je vous accompagne la présente avec sa photographie, à son vivant, et vous voudriez me la retourner au cas contraire. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 62)

Marie Cattelet d’Amiens, elle, propose de jeuner 50 jours, pour dépasser les 30 jours de Giovanni Succi et égaler les 50 jours de Stefano Merlatti :

« Je suis libre, j’ai 30 ans, d’une constitution délicate mais très nerveuse. Vous seriez peut-être heureux Messieurs, de voir tenter une semblable gageure par une femme. Mais je me fie à votre loyauté en vous demandant comme une grâce de ne pas dire mon nom de famille, ni le nom de mon pays. J’ai de graves raisons de famille qui s’y opposent. J’avais écrit à M. Merlatti, ma lettre n’est sans doute pas parvenue. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 47)

Décombe, ancien vigneron à Bonnay en Saône-et-Loire, 68 ans, dépourvu de tout revenu, écrit depuis Bicêtre où il est hospitalisé depuis deux ans par suite d’une paralysie du côté droit qui l’empêche de marcher, pour faire valoir ses capacités mnémoniques :

« J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que je suis doué d’une faculté peut-être unique, c’est une double vue, une mémoire prodigieuse. […] Je n’ai jamais été en classe ; ce que je sais je l’ai seul appris. Je compare mon cerveau à un Bottin où par ordre sont classés cinq cent mille dates historiques, biographiques et de toutes espèces et par-dessus le marché les codes notamment le code civil. Depuis le jour où est mort Fréret, le grand chronologiste français, j’ai une provision d’événements pour rompre la tête à trois lycées entre autres choses je peux citer la date de toutes les batailles que compte l’histoire : depuis Marathon jusqu’à Sedan. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 76)

Corps – Vendre son corps
A défaut de dons extraordinaires, la misère pousse à proposer la vente de son propre corps ou de celui d’un proche, en arguant éventuellement de sa singularité ou de son intérêt scientifique.
F. Lallemant, de Ménilmontant, propose de vendre sa fille de 11 ans paralysée :

« j’ai une petite fille de 11 ans qui est paralysée de tout son corps quand elle était toute petite je l’avais portée à l’hospice le médecin me disait de la vendre à la médecine mais elle n’avait que 9 mois et je croyais toujours que cela se passerait mais elle a 11 ans et elle ne peut pas manger seule ni parler ni marcher. Je suis forcée de l’attacher dans une chaise mais elle n’est pas idiote. C’est pourquoi Monsieur je me déciderais à la vendre à la médecine car j’ai 3 autres tout petits enfants à élever et l’ouvrage ne va pas du tout et je me trouve bien dans la peine (…) » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 173)

François Gilibert, marchand de poissons à Tours, propose de vendre son corps à l’Académie de médecine, après sa mort :

« Étant en ce moment dans l’impossibilité de travailler je viens d’être opéré à l’hospice de Tours d’une exostose volumineuse, par M. le docteur Louis Thomas qui prétend que mon squelette est un curieux sujet d’étude pour la médecine, car d’après ce qu’il en disait à ses élèves ce Monsieur ainsi que de nombreux docteurs à qui il me faisait voir comme une très grande curiosité. Tous prétendaient qu’ils n’avaient jamais vu mon pareil. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 139)

Edouard Duhazé, qui loge à l’hospice des vieillards de Boulogne, propose également de donner ou de vendre son corps après sa mort :

« Né le 15 janvier 1819 j’ai eu le malheur d’avoir les parties naturelles très faibles et le sommeil très dur au point qu’à 7 ans je faisais toutes mes nécessités au lit, et qu’à 9 ans le besoin d’uriner ne me réveillait pas. A la suite d’un coup au genou qui m’a retenu presque sans discontinuer 7 au lit [sic] j’ai été amputé de la cuisse gauche par le bon et doux Monsieur Gerdit [sic] tenant clinique à Saint-Louis, j’avais 16 ans. Je suis entré en apprentissage chez un patron qui m’a fait coucher dans un sous-sol d’où il m’est venu une fraîcheur que j’ai ressentie toute ma vie. Vers 1837 me trouvant au théâtre j’ai négligé de satisfaire un petit besoin de sorte qu’en sortant je ne pouvais plus uriner, de là j’ai contracté l’habitude de me satisfaire à peu près toutes les heures, si par circonstance ce temps est dépassé je ressens dans une épaule ou dans l’autre une espèce de douleur. Je me suis marié en 1849. Ma femme est tombée malade d’un refroidissement qui s’est fixé à la poitrine et dont elle [manque : est] morte 28 ans plus tard, voulant la ménager j’ai été privé longtemps du plaisir que donne l’amour, il en est résulté un engorgement dans le testicule droit qui me fait souffrir beaucoup dans une promenade un peu longue c’est pourquoi je mets un bandage puis quand je rentre je me couche et pendant près d’une heure la descente rentre dans son état naturel en faisant des glouglou plusieurs fois répétés. Si vous croyez qu’il y a en moi un sujet à étudier, je me mets de suite à votre disposition jusqu’à 8 jours après ma mort pour que l’on continue les études sur mon corps mort, puis alors l’Académie se chargera de faire réduire en cendres les restes qu’elle remettra à ma fille, Madame Jules Julien 122 rue Sainte-Catherine à Bordeaux (Gironde). » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 98)

La compensation peut prendre d’autres formes, comme cette demande farfelue faite à l’Académie par Léonard Railliat, du Gros Terne, commune de Pranzac en Charente, de lui adresser une femme à épouser, en récompense des services rendus à la médecine :

« Comme j’ai rendu de grands services à la médecine, et à Paris aussi pour les gens de Paris, si vous vouliez m’adresser une femme comme il faut qui ne soit pas de belle grandeur ni de si belle figure, et qui ne soit pas une femme de bavardage dans la compagnie des femmes, vous me feriez bien plaisir, et vous pourriez faire la loi vous-même pour le mariage comme me connaissant bien dans la médecine, qu’elle ait de 45 à 50 ans, vu que je ne suis plus jeune moi-même ; qu’elle ait au moins de 40 à 50 mille francs de fortune, c’est tout ce que je lui demande si elle veut se faire marier. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 292)

Corps – Des corps présumés morts
La question de ce qu’est le corps touche aussi celle du corps mort, ou du moins mort en apparence. L’Académie de médecine s’est notamment intéressée à ce sujet à l’occasion du prix du marquis d’Ourches, destiné à récompenser « la découverte d’un moyen simple et vulgaire de reconnaître, d’une manière certaine et indubitable les signes de la mort réelle » (voir Anne Carol, réf. infra). Henri Gadiffert, domicilié à Montmartre, laisse entendre qu’il possède le moyen d’empêcher les inhumations précipitées :

« En lisant un article du 12 janvier dernier sur le Petit Parisien, intitulé Outre-tombe, concernant des détails affreux sur des personnes dont la léthargie et la catalepsie ont fait croire à une mort certaine et ont enduré des tortures qui font frissonner d’épouvante, je me suis intéressé à une chose qui intéresse tant de familles. J’ai trouvé un moyen Monsieur le Docteur par lequel ces cruautés ne se renouvelleront plus, le système que j’ai inventé et qui est incontestable je suis prêt à vous le démontrer et vous jugerez par vous-même du service que je puis rendre à tout le monde entier, car il n’est pas une seule famille qui hésitera à se servir de ce système qui sera pour elles le repos et la tranquillité. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 122)

S. Lambert, résidant à Bois-Colombes, demande ni plus ni moins que l’exhumation de sa femme :

« Au risque de passer pour un fou je viens vous soumettre mes pressentiments, est-ce même de l’intuition, je n’en sais rien. Les 3 premières semaines après l’inhumation de la femme comme ahuri ne sachant si je vivais ; mais depuis une idée s’est emparée de moi, qui ne m’a plus quitté ; ma femme est en léthargie, ou dans une position semblable lors de son ensevelissement elle n’était pas changée, pas de décomposition apparente, personne ne connaît tous les mystères de la terre, faute d’investigations suffisantes comment expliquer la conservation de certains cadavres retrouvés fortuitement, des mois après l’enterrement , n’ont-ils pas vécu sous terre ? Qui le sait ? S’en est-on rendu bien compte : pour certaines maladies, la terre ne serait-elle pas une sorte de calmant ? Plus la formation de certains gaz, la vapeur d’eau ou l’oxygène par exemple ne procureraient-ils pas à des organes fatigués par le grand air et la maladie un état intermédiaire entre la vie et la mort ? Tout est sujet d’étude et d’observation, et je crois que le cas dont je parle a été peu étudié ; car il aurait fallu exhumer des milliers de cadavres pour être bien renseigné, je crois ceci très sérieux. Si donc vous jugez à propos de procéder à l’exhumation de ma femme en ma présence je vous en donne l’autorisation, elle est dans le cimetière de Batignolles à Clichy. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 180)

Corps – Corps entravés
Les fous, les aliénés font également partie des auteurs de courriers adressés à l’Académie. Ils dénoncent eux aussi des injustices.
Un certain Allart, interné à l’hôpital Sainte-Marie, dit Saint-Pons, à Nice, fait part de ses découvertes sur les accouchements ou la rage tout en dénonçant sa persécution par le moyen de la transmission électrique :

« Tandis que j’ai les plus éminents services à rendre à l’humanité de différentes manières, les pires assassins de la terre me retiennent cruellement interné, pour me détruire par les plus abominables souffrances. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 2)

L’épouse Mahue livre une lettre mystérieuse :

« Messieurs, Je n’ai sans doute pas qualité pour vous parler, je ne mérite aucune attention… Cependant… le mystère qui enveloppe… père Louis ; me dit ceci : si ma première lettre a été plus heureuse que moi, je n’en sais pas moins la loi… et pour ne pas voir eu de réponse je n’en estime pas moins le père Louis est averti… que tout ce que vous… faites est bien fait… pourtant pour aller à la société de ces Messieurs… il fait avoir en soi… l’étoffe… de père Louis. La fille qui soigne père Louis l’a ouï dire, néanmoins tout n’est que ce que père Louis a voulu… La femme qui se fait connaître à vous Messieurs a pourtant eu le père Louis… comme mari… mais le tourment… que la triste nécessité a fait au père Louis l’a forcée de se retirer… où il ne devait pas. Et maintenant père Louis ne veut plus de fortes secousses c’est pourquoi Messieurs… je m’adresse à vous… pour… ne pas causer… cette émotion tant redoutée… et aussi pour ne plus entendre… ce terrible langage… Non, jamais plus je ne rentrerai… avec la femme qui ne comprend rien de ma… pénible détermination… toutefois Messieurs, je n’ai nulle envie de vous tourmenter… et je vous prie de ne pas vous éloigner de de sujet de ce pénible entretien… La Louïsa va ne plus vous rendre ce service… de consacrer sa vie pour père Louis… mais elle vous écrira qu’elle a tout-à-fait tenu à ce que vous voyez père Louis pour la troisième fois… le triste père ne peut écrire… il ne peut non plus dire : mais, là-bas… il faudrait du bois… et tout compté… ce que on lui donne… d’argent… lui fait à peu près 28 sauf par jour… pour la vie et l’habit… La Louïsa ne veut pas que mes lettres arrivent jusqu’à père Louis toujours, prétextant l’émotion et comme je ne sais à qui m’adresser… je viens Messieurs, me présenter par celle-ci encore une fois, vous demander… aide et protection me re souvenant… que ce… Monsieur qui est venu voir père Louis… la lui émotionne pour savoir la vérité… et ne l’a pas tuée… Veuillez s’il-vous-plaît MM. recevoir tous mes respects… Ép.se Mahue. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 222)

Un dénommé Lebert, de Wissous, qui se présente comme « une victime de tous les abus », adresse une demande « de réhabilitation à Messieurs les Membres de l’Académie de médecine, à Messieurs les Professeurs aliénistes » :

« En date du 24 juillet 1887, se basant sur les faits, reproduisant les commentaires de l’opinion publique, un simple ouvrier, expédiait à Monsieur le Garde-des-Sceaux, par voie académique, formulant le vœu que sa pièce fût soumise d’abord à Monsieur le Président de la Chambre des Députés, lequel d’après le vœu de l’Auteur, était chargé de le transmettre à Monsieur le Ministre de la Justice, un acte de Droit, démontrant ce que peuvent l’Influence, le Privilège, par Abus d’Autorité. Il s’agissait d’un Meurtre. Deux Frères, vivant avec leur Mère Veuve depuis quelques années, par suite de surexcitation ou folie alcoolique, le plus jeune par une secousse violente, lança son aîné dans l’escalier, la chute précédée de coups peut-être, détermina la mort de la victime. L’Influence ici, sous un prétexte inhumain, tenta d’anéantir, de paralyser l’action de la Justice. La victime enterrée le 22, fut inhumée le 25 ; voici en quelles circonstances : l’Auteur de la Protestation susvisée fit par intermédiaires communiquer sa pièce au fils de M. l’Adjoint au Maire de la Commune après quoi elle fut jetée à la boîte publiquement. Dès le 25 à l’aube, le Meurtrier qui jusque-là était resté libre, fut arrêté. Le Parquet de Corbeil, descendit sur les lieux le jour-même, fit faire l’autopsie, procéda à une enquête. Il résulte de l’ensemble, que traduit devant la Police Correctionnelle, le Meurtrier d’après ce que nous rapporte le témoin principal, fut condamné à deux années de prison, le 12 août dernier. Nous n’aurions rien à voir à ce sujet dans l’action de la Justice, si les faits s’étaient produits légalement ; mais en présence des entraves apportées au début par l’Influence, on se demande si l’Influent, n’a pas pesé par Abus d’Autorité, sur les décisions prises dans ce cas, par les Représentants chargés en cette circonstance, de se prononcer au nom de la Justice. Maire de la Commune, l’Influent ex-Professeur au Collège Louis-le-Grand, a, sur beaucoup de Magistrats de tout ordre, une prépondérance qui peut être considérée, analogue à celle qu’exerce le Maître sur ses Élèves ; d’autre part l’Influent est lié par ses relations à de Hauts Dignitaires. Nous pourrions ajouter à ce qui précède des charges très graves, si comme il est d’usage de le faire quand il s’agit d’un simple citoyen, nous avions la vengeance pour mobile, sans avoir recours à une Enquête sur les mœurs et usages de l’Influent. Toutefois, notre Dignité de Citoyen nous contraint tout [en] ayant la volonté de nous abstenir, d’en signaler une. L’Auteur de la Protestation signalée fut, à différentes reprises, dans un but peu louable, averti par intermédiaires, que des menaces de vengeance, étaient la perspective inévitable à laquelle il devait s’attendre. En conséquence, nous déclarons comme Auteur de la Protestation, étant également l’Auteur du présent que, par Abus d’Autorité à tous les degrés hiérarchiques du Pouvoir, victime de l’arbitraire, ma situation se trouve en dehors de la Catégorie des Citoyens placés par les Lois en vigueur, sous la surveillance et la protection toutes à la fois, des Membres du Pouvoir Exécutif proprement dit ; ne reconnaissant aux Membres des différents Corps Constitués pour rendre la Justice, que le Droit de concilier. Pour ces raisons, les Membres de l’Académie de Médecine ou MM. les Professeurs des différentes facultés par eux agréées, ont seule mission, pour statuer légalement et définitivement sur mon cas. En effet, séquestré arbitrairement une première fois, par suite d’un guet-apens le 24 mai 1879 ; la décision ministérielle du 18 octobre de ladite année 1879, me fit prendre la résolution de m’évader ; le fait se produisit le 30 novembre suivant. Par des procédés analogues, par récidive, le 21 février 1883, je fus séquestré de nouveau. Ce ne fut qu’après 22 mois de tortures, que transféré à Cadillac Gironde, je me suis évadé pour la seconde fois 10 décembre 1883. Je n’établirai pas ici les méfaits abusifs desquels je fus victime depuis, mais en présence de nouvelles menaces, je m’adresse à vous MM., qui, experts en la matière, possédez les facultés et les moyens, de faire cesser l’Arbitraire. Je vous prie de faire Droit à ma Requête, afin qu’il me soit possible de sortir de l’horrible situation qui m’est faite. Considérant que je dois à des faits coupables, dirigés par l’Influence, les tortures injustement imposées : ma demande consiste en ceci : Je désire être soumis s’il y a lieu, à l’examen d’une Commission Médicale, laquelle aura à statuer sur l’ensemble des faits qui ont motivé mes séquestrations, ladite Commission devant se prononcer, sur l’état moral, lucide ou non lucide du demandeur. » (BANM, Acad. Méd. Correspondance 1887 n° 195)

Pétitionnaire patenté, Hilaire Anatole Lebert (1835-….) adresse la même pétition à la Chambre des Députés, se plaignant de ce que des poursuites judiciaires n’aient pas été exercées à l’occasion d’un meurtre commis dans cette commune (Chambre des Députés. Feuilleton n° 252. Ordre du jour du jeudi 10 novembre 1887). Plus tard, il demandera à être mis en possession des biens d’une famille de La Barre dont il se dit descendant, ou encore que le testament du duc d’Aumale soit cassé, ses prises de position antiboulangistes lui valant par ailleurs le soutien de L’Indépendant de Seine-&-Oise.

Jérôme van Wijland

 

Bibliographie :

Archives Nationales (Paris), Police sanitaire. XVIIe siècle-1923. État numérique détaillé de la sous-série F8, par Alexandre Labat et Martine Plouvier, revu par Catherine Mérot, Paris, 2008

Anne Carol, « Constater la mort sans le médecin ? Le prix du marquis d’Ourches à l’Académie de médecine (1869-1874) », Histoire, médecine et santé, n° 16 (2021), p. 57-78

François Léger et Jérôme van Wijland, « Un « Centre de direction, d’action et d’informations » : la commission de l’hygiène de l’enfance de l’Académie de médecine (1866-1999) », dans Emmanuelle Berthiaud, François Léger et Jérôme van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir : la médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021 (Histoire et civilisations), p. 179-206

 

Pour citer ce billet :

Jérôme van Wijland, « Correspondance – I. L’année 1887 », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 22 décembre 2023. Disponible à l’adresse : https://bibliotheque.academie-medecine.fr/correspondance-1887.

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