Coédité par la BnF, sous la direction de Jérôme Petit et Pascale Rabault-Feuerhahn, un ouvrage collectif consacré à Antoine-Léonard de Chézy vient de paraître. Les méthodes et les apports de Chézy, conservateur-adjoint à la Bibliothèque impériale puis nationale, titulaire de la chaire de sanskrit créée en 1815 au Collège de France avec l’impulsion décisive de son maître Silvestre de Sacy (1758-1838), sont scrutés, de la métrique à la traduction, au travers d’une série d’études. Mais le livre met également en lumière le contexte intellectuel, politique et social qui a favorisé l’épanouissement de son activité de philologue et de traducteur au début du XIXe siècle (l’École spéciale des langues orientales est créée en 1795), et qui plus généralement constitue un des ferments de « l’indomanie romantique des premières décennies du XIXe siècle ». Chézy travaille au sein d’un réseau de savants qui a les dimensions de l’Europe entière, et plusieurs contributions font apparaître de manière vivante des filiations intellectuelles et des réseaux scientifiques qui ne peuvent échapper aux remous politiques du temps. Ainsi l’Écossais Alexander Hamilton (1762-1824), qui profite de la paix d’Amiens (1802) pour établir à la Bibliothèque impériale le catalogue des manuscrits de sanskrit de Paris, se trouve-t-il quelques années plus tard prisonnier politique…
Charles Achard (1860-1944), secrétaire général de l’Académie de médecine de 1921 à 1944, comptait parmi ses aïeuls Jean-Daniel Kieffer (1767-1833), un représentant de ce bouillonnant mouvement des études orientales et indiennes. Soucieux de la mémoire familiale, il a conservé des manuscrits de Kieffer. Dans le volume qui vient de paraître, un article de Jérôme van Wijland, directeur de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, montre la valeur documentaire de ce fonds Kieffer, conservé à la Bibliothèque comme un sous-ensemble du fonds Achard. Il s’agit d’abord de la biographie intitulée Deux alsaciens bons Français qu’il a consacrée à ses deux aïeuls, Kieffer et le diplomate Charles Rosenstiel (1751-1825). Cette source inédite vient compléter la documentation existante sur ce collègue de Chézy au Collège de France, titulaire à partir de 1822 de la chaire de turc. Comme beaucoup d’autres savants orientalistes, c’est l’étude de la théologie qui l’a amené aux langues orientales. Celles-ci lui permettent d’accéder à un poste de secrétaire-interprète, avec une mission à Constantinople en 1796. Les événements politiques – l’expédition d’Égypte entraîne la déclaration de guerre de l’Empire ottoman à la France – lui imposent une captivité de 3 années, qu’il met à profit pour parfaire ses connaissances linguistiques. L’attrait des études indiennes alors en plein essor s’exerce fortement sur lui, comme en témoignent les documents en sanskrit conservés au sein du fonds Achard. On trouvera parmi ces archives des témoignages de son apprentissage en autodidacte du sanskrit, des notes érudites et copies de manuscrits, ainsi que la traduction d’une grammaire sanskrite de Charles Wilkins.
François Léger
Bibliographie :
Jérôme van Wijland, « Le tropisme sanskritiste d’un turcologue, Jean-Daniel Kieffer », in Jérôme Petit et Pascale Rabault-Feuerhahn (dir.), Le sanctuaire dévoilé. Antoine-Léonard Chézy et les débuts des études sanskrites en Europe, 1800-1850, Paris, Geuthner, BnF, 2019, p. 249-262.
Pour citer cet article :
François Léger, « Les débuts des études sanskrites (1800-1850) », Site de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine [en ligne]. Billet publié le 12 septembre 2019. Disponible à l’adresse : http://bibliotheque.academie-medecine.fr/etudes-sanskrites/.